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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 15:16

Éditions Daniel Maghen, 2016

 

 

À la fois au scénario et au dessin, Patrick Prugne signe avec Iroquois une bande dessinée historique qui nous ramène au tout début du XVIIe siècle, plus précisément en 1609, au temps des premiers comptoirs et expéditions terrestres français au Québec. Ressuscitant la figure de Samuel de Champlain, il dresse un portrait des Nord-Amérindiens confrontés à l’arrivée des colonisateurs occidentaux. Une situation extrêmement conflictuelle, d’autant plus qu’entre Hurons, Iroquois, Algonquins et autres peuplades indiennes, la guerre est toujours prête à éclater. Au début du récit, de Champlain et les soldats du Roi de France se retrouvent à la tête d’une expédition punitive dont les conséquences se feront longtemps sentir…

 

Visuellement Iroquois est un délice. Le dessin à l’aquarelle de Patrick Prugne sublime parfaitement les étendues boisées du Québec, les rives du Saint-Laurent, le monde sanglant, violent, âpre et sauvage de leurs contrées inexplorées. Inexplorées par l’homme blanc, sauf qu’ici c’est l’âme amérindienne qui intéresse beaucoup plus l’auteur. Ses natures magnifiques et son trait dynamique en font l’écho page après page, au gré de l’avancée en territoires hostiles. On regrettera tout de même le manque de profondeur du scénario qui, sans s’avérer médiocre, n'est pas à la hauteur de l'univers visuel proposé. Dommage, car sinon ce très bel ouvrage aurait frôlé le sans faute.

 

 

Par Matthieu Roger

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29 mars 2017 3 29 /03 /mars /2017 15:29

La Boîte à Bulles, 2017

 

 

Aujourd'hui, le terme « asile » ne jouit pas d'une bonne cote de popularité. Assimilé à la notion de folie, la collectivité le considère comme l'endroit où sont mis à l'écart les malades psychiatriques jugés incurables. Pourtant, la vision offerte par les Asiles de La Force à ceux qui connaissent le pasteur John Bost, leur fondateur, est tout autre : ils représentent l'espoir et l'audace de leur créateur qui les bâtit malgré les voix politico-religieuses s'opposant à son projet. Une histoire contée par Bruno Loth et Vincent Henry dans John Bost, un précurseur !

 

Lorsque Eugène Rayroux arrive aux Asiles de La Force, en Dordogne, répondant à l'appel de John Bost pour l'aider dans l'administration et devenir son successeur, il réalise l'ampleur de ce qui a été construit. L'institut, déjà vaste, ne cesse de se développer au fur et à mesure que les patients affluent et la manière de les y traiter est révolutionnaire pour l'époque. Considérés avant tout comme des êtres humains plutôt que comme malades, les personnes recueillies sont aussi nombreuses que diverses : orphelins, épileptiques, handicapés, vieillards, simples d'esprit... C'est le plus important centre d’accueil pour les moins fortunés existant au XIXe siècle. Lourde tâche offerte à Eugène Rayroux que de le faire perdurer, tant par la taille et la charge de travail que par l'enjeu que représente la présence de tels établissements pour leurs résidents. N'ayant pas encore fait son choix et souhaitant poursuivre sa réflexion en se familiarisant avec les lieux et ses occupants, petit à petit, il trouve ses marques et s’immerge dans ce microcosme social et médical, rencontrant le personnel délégué aux soins et les patients qu'il apprend ainsi à connaître. À travers les différentes personnalités évoluant autour de lui, il prend conscience de la mission qui l'attend s'il accepte le poste…

 

Alors que la Fondation John Bost (nom actuel des Asiles de La Force) fête le bicentenaire de la naissance de son créateur, cette biographie sort à point nommé. Elle nous propose de nous souvenir de ce pionnier de l'action médicosociale à travers la visite d'Eugène Rayroux au cœur des établissements qu'il a pérennisés. L'excursion continue à la fin de l'ouvrage avec une documentation prolongeant ce moment de lecture instructif et passionnant (photos, sérigraphies et archives).

Bruno Loth, connu pour ses romans graphiques engagés, notamment sur la guerre d'Espagne, met pour une fois ses crayons au service d'un scénariste : Vincent Henry. Avec son trait habituel, simple et expressif, il livre un bel hommage à John Bost, calviniste avant-gardiste et atypique, qui n'hésita pas à entrer en conflit avec sa hiérarchie pour venir en aide à ceux atteints de handicaps physiques ou mentaux. Son dessin appuie judicieusement un récit peu académique aux textes omniprésents.

La Boîte à Bulles nous présente à nouveau une bande dessinée attrayante et éducative plongeant dans une période de l'histoire effacée de beaucoup de mémoires par le temps.

À lire ! Pour le plaisir de découvrir ou de redécouvrir ce pasteur qui a marqué son époque par son combat et par son œuvre !

 

 

Par KanKr

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15 juin 2016 3 15 /06 /juin /2016 16:44

Éditions Casterman, 2016

 

 

 

 

L'Amérique, ses grandes plaines verdoyantes et ses Indiens ont fait rêver toute une génération d'explorateurs en mal de voyages et de découvertes. Alexis de Tocqueville, célèbre notamment pour ses réflexions philosophiques et politiques, est de ceux-là. Dans Quinze jours dans le désert, il a conté son périple au tréfonds de la région des Grands Lacs, en direction de contrées que la civilisation occidentale n'avait toujours pas foulées, histoire que Kévin Bazot a décidé d'adapter en bande dessinée avec Tocqueville : Vers un nouveau monde.

 

Sous forme de récit initiatique, cette excursion graphique raconte l'errance, en 1831, du jeune aristocrate, futur intellectuel que nous connaissons aujourd'hui, à travers les États-Unis d'Amérique. Accompagné de son ami Gustave de Beaumont, empli d'illusions et de naïveté, il part en quête des Amérindiens qu'il imagine sauvages et réfractaires à la modernisation de l'Occident, plus axés sur la synergie avec la nature que sur le développement industriel. Le candide idéaliste va vite déchanter. Confronté à la réalité, il doit se rendre à l'évidence : ceux qu'il cherche sont en voie d'extinction, acculés par l'expansionnisme des colons. L'urbanisation dévore les forêts ! Contrairement à ce qu'il pensait, les Indiens, devenant les victimes de l'essor des grandes villes, se sont soumis à la culture de ceux qui ont investi leurs terrains. Partout les deux compagnons ne croisent que des Amérindiens miséreux, ivrognes, bagarreurs et voleurs n'ayant plus une once de révolte en eux. Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont sont les témoins de la construction de l'Amérique contemporaine ! Persévérants, s'enfonçant de plus en plus au cœur du Nouveau Monde, ils finiront par trouver ceux qu'ils étaient venus rencontrer. Mais, déjà, la civilisation est à deux pas de ces derniers espaces vierges…

 

L'auteur nous livre, ici, un triste portrait de l'Amérique des pionniers dans un ouvrage graphique inspiré, documenté, précis et détaillé, pour rester au plus proche du texte originel. Il en a conservé l'aspect critique, notamment l'imposition culturelle et religieuse des colons sur les Indiens en anesthésiant toutes volontés et toutes velléités par l'alcool.

Grâce à une ligne claire et un dessin diapré, Kévin Bazot illustre parfaitement son propos, immergeant le lecteur dans cette époque révolue où les vastes forêts dominaient encore le territoire.

Si le scénario n'est jamais palpitant, a contrario des grands westerns sur la conquête de l'Ouest, il n'en demeure pas moins passionnant du début à la fin !

Une adaptation réussie, respectueuse de l’œuvre d'Alexis de Tocqueville, superposant des images sur ses mots.

 

 

Par KanKr

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26 décembre 2015 6 26 /12 /décembre /2015 13:33

Éditions Catserman, 2005

 

 

 

Une pointe d’argot, des barricades, des femmes montées au front, des nuits sanglantes ou encore des conflits politiques engendrés par la défaite du Second Empire face à la Prusse, telle est la formule que nous proposent Jean Vautrin et Tardi à travers Le Cri du Peuple. Initialement éditée en quatre volumes, cette intégrale nous abandonne au milieu de la Commune, dans une version dessinée du roman éponyme de Jean Vautrin mettant en scène une enquête qui se déroule au cours des funestes événements de 1871.

 

Au cœur d'un Paris sous la neige, le corps d'une demoiselle est retrouvé dans la Seine, un œil de verre gravé du numéro treize au creux de la main. Ainsi commence le récit, sur ce qui constituera la trame de l’œuvre, avec en toile de fond le vent d'une révolte qui monte des quartiers populaires. Au-delà de cette intrigue policière, qui s'efface au fil des pages pour laisser toute sa place à la lutte entre les drapeaux bleu-blanc-rouge et les bannières rouges, les auteurs s'intéressent au parcours des divers personnages fictifs qui participèrent à ces tragiques semaines d'insurrection et de répression : le capitaine Antoine Tarpagnan, transi d'amour pour Caf’Conc’, qui rejoindra les rangs communards, Horace Grondin, ancien bagnard à la recherche de Tarpagnan qu'il accuse du meurtre de sa fille adoptive, l'inspecteur Hippolyte Barthélémy, avide d’avancement, qui souhaite à tout prix démêler l'affaire de la noyée, mais aussi des personnalités qui y ont, de près ou de loin, réellement pris part : Jules Vallès, Louise Michel, Georges Clemenceau ou Gustave Courbet. Leurs histoires ne cesseront de s'enchevêtrer jusqu'à ce que les actions finissent par se recouper. Le scénario trouve un parfait équilibre entre le polar et le témoignage historique du plus important massacre perpétré par l'État français à l'encontre de ses citoyens. Plus qu'un hommage aux communards, c'est un brûlot à charge contre Adolphe Thiers.

 

Saisissant les péripéties depuis les pavés à travers son trait si particulier, Tardi trimballe le lecteur des quartiers populaires aux grands sites parisiens, dans les pas d'un peuple luttant pour sa liberté. L'esthétique graphique mise en scène par le dessinateur, tout en noir et blanc, s'avère judicieuse tant le dessin est étouffant, retranscrivant l'atmosphère violente, austère et sombre de l'époque. D'autant que le format à l'italienne, propice aux plans plus larges, permet d'explorer dans le détail et la minutie de grandes scènes épiques. Les auteurs nous plongent au cœur des hostilités pour mieux nous faire partager les odeurs, les bruits, les passions ou l’engouement des Parisiens engagés dans un combat perdu d'avance qui se termine comme il a commencé : dans l'hémoglobine. En trois cent douze pages, Jean Vautrin et Tardi nous font passer d'une ambiance de Grand Soir à la désillusion finale !

 

 

Par KanKr

 

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5 novembre 2015 4 05 /11 /novembre /2015 12:44

Éditions Place des Victoires, 2011

 

 

 

Voilà un magnifique livre d’art qui pourrait bien constituer le cadeau idéal pour vos fêtes de fin d’année. Son très grand format (42 cm de hauteur sur 34 cm de largeur), rehaussé par une tranche dorée du plus bel effet, est imposant et constitue l’écrin qu’il fallait pour mettre en valeur les superbes photographies haute définition des murs et voûtes de la chapelle Sixtine. Construite à la fin du XVe siècle, peinte et décorée au cours de la première moitié du XVIe siècle, cette dernière fait sans aucune contestation possible partie des joyaux architecturaux de l’humanité. La restauration des fresques de Michel-Ange, entreprise entre 1980 et 1994, permit de révéler au grand jour le savant et explosif mélange des couleurs, dévoilant sous la sombre patine des siècles une des plus étourdissantes compositions visuelles de l’histoire de l’art. Temple du génie italien de la Renaissance – citons, entre autres contributeurs, Le Pérugin, Botticelli, Ghirlandaio, Rosselli et Michel-Ange – la chapelle Sixtine défie l’entendement de par la beauté de ses peintures. Celle du Jugement dernier, sans doute l’une des oeuvres d’art les plus connues au monde, ne doit pas faire oublier que voûtes, médaillons, lunettes et voûtains constituent autant d’enseignements sur les représentations théologiques de l’époque, l’histoire de la papauté et l’enseignement de la Bible.

 

Si vous ne pouvez vous rendre un jour au Vatican, n’hésitez pas à entreprendre ce voyage au fil des pages de La chapelle Sixtine. Ou quand le livre restitue pour notre plus grand plaisir l'ébahissement des sens devant l’inimaginable. Comme le dit assez justement Alexandre Gady dans sa préface, « peut-être, au fond, est-ce avec un tel ouvrage que l’on peut encore regarder vraiment la chapelle Sixtine : dans le calme des pages feuilletées, dans les images somptueuses montrant ce que l’on ne voit pas d’en bas, lorsqu’on est dans la chapelle, la beauté des fresques jaillit dans toute la puissance de leur détail ». Conférant une place mineure aux explications textuelles, ce livre est l’exemple même que, parfois, l’image se suffit à elle-même. Un conseil : laissez-vous tenter.

 

 

 

Par Matthieu Roger

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 10:50

Éditions Flamarion, 1998

 

 

 

Traiter de l'Holocauste n'a rien de bien précurseur au premier abord. Nombreux sont les films, les livres, les émissions ou les hommages qui ont fouillé et retourné le thème jusqu'au moindre détail. Pourtant, dans Maus, si le sujet abordé par Art Spiegelman n'est pas avant-gardiste, la forme et le support le sont assurément. L'originalité tient dans le fait de conter un récit dont l'initiateur n'est pas maître, dépendant des souvenirs de son géniteur. Ainsi, il nous invite, le temps de ces 300 pages, à suivre la longue errance de Vladeck durant la Seconde Guerre mondiale. C'est dans cette Europe meurtrie qu'il devient un héros ordinaire, un survivant d'Auschwitz. Un homme comme les autres, ni plus courageux, ni plus lâche. Un homme qui traverse la guerre et en revient, mais qui finalement est sans doute resté piégé dans ces temps troubles tant son quotidien en porte les séquelles. Une histoire intime qui nous entraîne dans la grande histoire, celle d'un génocide et d'un drame universel ayant marqué la mémoire collective.

 

Cette biographie dessinée évoque le regard curieux d'un enfant sur le parcours de son père, de sa famille, et de sa mère dont le souvenir vient régulièrement hanter le récit. Des pérégrinations qui nous mèneront au sein des pogroms polonais, des camps d'Auschwitz et ceux de Dachau. Il nous décrit les rafles, les fuites, les planques, mais aussi les compromis ou les coopérations pour survivre jusqu'à la libération. Il utilise le passé familial pour dévier sur un second fil rouge, celui de l'écriture du livre. Une mise en abyme de l'auteur du récit hanté par ce passé dont il hérite mais qui ne pourra jamais lui appartenir. Il a subi l'impact de la tragédie dans sa relation parentale. Entre incompréhension et conflit, il suggère le gouffre séparant la génération ayant vécu la Shoah et celle lui succédant, les liens familiaux altérés, le poids d'un père absent, ne trahissant aucune émotion, semblant plus ébranlé par les petits tracas du quotidien que par les atrocités qu'il a vécues. C'est l'histoire d'un fils et d'un père dont ces dernières confidences deviennent les seuls moments d’intimité partagée.

 

Maus, un OVNI de la BD ! Intelligent et réfléchi, primé du prestigieux Prix Pulitzer en 1992. Un témoignage d'une authenticité crue, sans doléance ni subversion. Art Spiegelman se positionne en simple observateur, loin de toute amertume ou reproche, et s’évertue à ne pas enjoliver les événements. D'ailleurs, dans le compte rendu biographique du passage de son père au cours de cette période trouble, il s'applique à ne jamais le glorifier, le présentant comme un avare et un raciste à travers lequel il voit, par instant, la caricature mise en avant par les Nazis. Il ne cherche pas non plus à louanger les oppressés ou blâmer les oppresseurs, mettant en scène ses protagonistes dans toute leur ambiguïté et sous leurs côtés les plus sombres. En montrant le moins montrable de ses personnages, il les rend tout simplement humains. Il saisit de façon poignante l'individualisme que les besoins primordiaux finissent par révéler en chacun de nous. Via ces diverses facettes, l'auteur offre une formidable étude psychologique : un questionnement sur la nature humaine, le comportement adopté face à des situations extrêmes et l'instinct de survie. Il nous pousse à nous interroger sur nous-mêmes dans une fable où il illustre son propos au moyen d'une métaphore visuelle, transfigurant les Juifs en rongeurs, les Polonais en gorets et les Allemands en félins, en référence à la propagande allemande usant du zoomorphisme dans ses campagnes de désinformation et d'extermination. Un choix graphique qui s'avère judicieux jusque dans le dessin : un noir et blanc au trait stylisé dont la simplicité, la sobriété et l'humilité servent l'ambiance du récit, qui retranscrit la distanciation du narrateur avec la misère et l'horreur du sujet tout au long de l'ouvrage. Ce travail, empreint des doutes de l'artiste quant à l'authenticité et la justesse de l’œuvre qu'il réalise, change des visions et des approches classiques de l’événement, ainsi que des discours pompeux et patriotes !

 

Voilà quelques heures bien dépensées à lire cette intégrale et quelques autres à absorber MetaMaus. Deux pavés de la bande dessinée qui se dévorent et ouvrent l'appétit plutôt que de rassasier !

 

 

 

Par KanKr

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3 avril 2015 5 03 /04 /avril /2015 10:32

Louvre Éditions & Fonds Mercator, 2012

 

 

Wim Delvoye est un artiste hors-norme qui aime se jouer des codes et des conventions établies. Il est notamment connu pour avoir exploré les méandres des cloaques à travers sa machine, au nom prédestiné Cloaca, reproduisant le processus de digestion sous l’apparence d'un complexe laboratoire scientifique. Restant fidèle à cette provocation, il s'amuse à désacraliser son propre travail, arguant que l'art est de la merde avant de pousser ses expériences sur l'objet à travers la réalisation de tapis persans à base de charcuterie, de bouteilles de gaz décorées à l'antique où à l'effigie des moulins de Delft, de tatouages sur des cochons vivants, d'armoiries sur pelles ou planches à repasser, de faïences arborées d'excréments, de vitraux-X mêlant sexualité, religieux ou ossements, etc. Prospecteur des formes artistiques, des médiums ou des matériaux tels que le vitrail, la peau animale, le velours, la porcelaine, le bois, l'osier, le bronze et l'encre, il ose des combinaisons qui lui valent autant de reconnaissance que de réprobations. L'art de Delvoye n'a rien de conventionnel et c'est tant mieux !

 

À l'instar d'une grande majorité d'artistes, Wim Delvoye considère les musées comme des cimetières où les œuvres perdent de leur substance déplacées du lieu et du contexte de leur création où, figées dans le temps, elles dépérissent immobiles et solitaires. Il souhaite décloisonner l'art en le sortant de son élitisme pour l'offrir au public, le rendre visible et accessible à tous en l'extrayant des galeries. Alors, lorsqu'il investit le Louvre, de la Pyramide de Pei aux jardins des Tuileries en passant par les salles gothiques du département des Objets d'art et les illustres appartements de Napoléon III, la confrontation de ses créations avec les chefs-d’œuvres du célèbre musée a de quoi retenir l'attention. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que nous ne sommes pas déçus. Il a conçu, pour l'occasion, une sculpture monumentale pour la colonne du belvédère. Une immense flèche néo-gothique en acier Corten inoxydable, torsadée, de treize mètres de haut, de forme oblongue, pointée vers le ciel, est enchâssée dans le triangle de la pyramide de verre. Pour la base de la structure, il s'est inspiré de la cathédrale de Cologne, et pour les ornements, des toits et tours de Notre-Dame de Paris (ceux que Viollet-le-Duc avait imaginés pour Notre-Dame dont il possède une importante collection de vieux catalogues, de dessins et de motifs). Cette structure, inscrite dans la continuité d'un travail sur les torsions et anamorphoses de sculptures et l'analité, reste fidèle à son goût pour la provocation aussi bien par sa forme de suppositoire que par le nom qu'il lui donne : Suppo.

Comme un défi, ses œuvres viennent ensuite prendre place dans les mal-aimés salons Napoléon III. À travers Nautilus, une tour de cathédrale tordue et enroulée sur elle-même en forme de coquillage d'acier, Tapisdermie, trois cochons en fibre de verre recouverts de tapis qui rappellent ses cochons tatoués vivants sous anesthésie, ou encore la représentation d'une scène de copulation entre un cerf et une biche trônant sur la grande table du salon, il dévoile l'étendue de son art pour l'extravagance et l'anachronisme. C'est aussi l’opportunité de découvrir son intrigante série Interprétation de Jésus sur la croix. Dans ces sculptures, il transforme le symbole baroque des crucifix en hélices d'ADN, en anneaux de Möbius, en cercles, en sinusoïdes, poussant par la même occasion la provocation à la limite du blasphème. L'art de Wim Delvoye est de bon ton à l'heure où le dessin de presse est au centre d'un scandale qui embrase le monde. Il est de ces artistes complets dévoyant l'art au point de le tourner en dérision, de le caricaturer. Il explore les frontières du possible et amène à réfléchir sur le sens de l'art. À travers ses travaux, l'histoire artistique n'est plus un simple mouvement linéaire où les périodes et les styles se succèdent. Il déforme le temps autant qu'il déforme ses œuvres en mélangeant les genres et les époques. Au même titre que la caricature, il désacralise ce que certains souhaiteraient intouchable, et le fait de surcroît avec talent. Rien n'est plus, dans ses œuvres, ni désuet, ni d'avant-garde. Tout n'est qu'uniquement matière à créer. Il a d'ailleurs lui-même réalisé la couverture du catalogue, en s'inspirant des romans de Jules Verne aux éditions Hetzel, et c'est fidèle à son inénarrable dérision que sa quatrième de couverture arbore une fourchette faisant un bras d’honneur. Wim Delvoye est un créateur polyvalent, doué, perfectionniste, facétieux et excentrique, en avance sur son temps tout en étant tourné vers le passé. Comme si seul le présent lui échappait, que son éphémérité lui restait insaisissable. Curieux, c'est l'un des plus grands collectionneurs de la marque La Vache qui rit. Son œuvre a été influencée par les logos publicitaires et les images de séries Z, la bande-dessinée, les dessins animés de Walt Disney (dont il partage les initiales) et l'art gothique qu'il mélange à la sculpture académique du XIXe siècle. Il a révolutionné l'art contemporain en faisant le lien entre l'artisanat et l'art populaire, notamment par le détournement de l'art néo-gothique, considéré comme barbare, le réactualisant à travers des objets industriels et ordinaires du quotidien tels que des pelleteuses, des bétonneuses, des camions, des bulldozers, etc. Il les traite comme des cathédrales de bois, de pierre ou d'acier pour rendre hommage aux prouesses architecturales du passé. Son travail surréaliste et anachronique est encore une fois une preuve du talent de l'artiste pour le contre-emploi et la juxtaposition d'univers.

 

S'il est de ces artistes qui oscillent entre la folie et le génie, j’espère tout simplement qu'il est beaucoup des deux !

 

 

Par KanKr

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 13:57

Éditions Tensing, 2013

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Publiées dans la Collection Théâtre des Éditions Tensing, ces Controverses 1812-1813 abordent la figure emblématique de Napoléon Ier. Sous la forme d’une piécette historique d’une vingtaine de pages, elles reviennent sur deux moments charnière de son règne. La première scène confronte Goethe à Beethoven, au moment où Napoléon s’apprête à envahir la Russie, en juillet 1812. La seconde se déroule fin octobre 1813, alors que les alliés ont chassé les troupes françaises d’Allemagne ; on y retrouve le philosophe allemand conversant avec son fils. Oppositions d’idées entre l’homme de lettre allemand et ses deux vis-à-vis, lesquels critiquent implacablement les ambitions impérialistes de l’Empereur. Mais c’est finalement Goethe, admiratif de la grandeur de l’homme qui bouleversa l’Europe en seulement quinze ans, qui aura le dernier mot. Non seulement son fils, contrairement à ce qu’il affirme, ne s’enrôle pas dans les troupes de la coalition, mais la piécette se termine sur cette citation de Beethoven : « J’ai pensé et dit beaucoup de mal de Napoléon : j’avais tort, c’était un grand homme. »

 

Controverses 1812-1813, de par son format modeste, est tout à fait le genre de piécette théâtrale qui pourrait être adaptée par une classe de collégiens ou de lycéens. Elle montre qu’aujourd’hui des auteurs comme Jean Kemèny restent fascinés par la légende napoléonienne. Arnaud Blin, dans son ouvrage Iéna, 1806 (Perrin, 2003) évoquait lui aussi la portée inégalée de cette légende en marche. Qui ne connait pas cette célèbre exclamation du philosophe Hegel devant le défilé des troupes impériales à Berlin, reprise par Jean Kemèny : « J’ai vu passer l’esprit du monde ! »

 

 

Par Matthieu Roger

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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 19:36

Coédition Bernard Giovanangeli Éditeur & Ministère de la Défense, 2012

 

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Saluons l’heureuse initiative d’enfin publier un ouvrage dédié au remarquable peintre que fut Édouard Detaille. Édouard Detaille, un siècle de gloire rend hommage à l’homme qui fut en son temps considéré comme l’un des chefs de file de la peinture française de la dernière partie du XIXe siècle. Célèbre à l’époque, Édouard Detaille, au sujet duquel Albert Soubies déclarait en 1915 qu’il fut « l’un des artistes contemporains sur lesquels on a le plus écrit », a depuis mystérieusement disparu de la mémoire nationale. Une injustice tellement ce grand peintre français a perpétué avec génie le genre militaire en peinture. Cet ouvrage permet en effet de se rendre compte du coup de pinceau saisissant et réaliste propre à Detaille. Compilés au fil des pages, ses plus grands tableaux révèlent la maîtrise dont fit preuve ce brillant élève de Meissonier pour retranscrire sur toile le soldat au cœur des combats, ou tout simplement absorbé par les tâches de la vie militaire. S’il a consacré un grand nombre de ses premières œuvres les plus importantes à la guerre de 1870, c’est parce que Detaille combattit sous l’uniforme tricolore durant ce conflit. Appartenant au cercle restreint des peintres officiels de la IIIe République, il n’en demeura pas moins toute sa vie fervent bonapartiste, d’où son goût pour l’Empire et ses cavaliers chamarrés. Je retiens entre toutes les magnifiques figures de cavalerie qu’il nous offre avec « En batterie », artillerie de la Garde, régiment monté (Salon de 1890), « Vive l’Empereur ! » : charge du 4ème Hussards à Friedland (1891), ainsi que Le général Lasalle tué à Wagram (Salon de 1912). Tout simplement splendides ! Illustrant durant des décennies les manuels d’histoire, son Rêve de 1888 révèle une autre facette de son art en livrant aux yeux du spectateur abasourdi un émouvant parallèle entre des soldats endormis au bivouac et leurs songes allégoriques des gloires militaires passées. « L’aube point, tandis que défilent dans les cieux les soldats de Valmy et d’Iéna, les Africains de Bugeaud, les régiments de Magenta et Solferino » (p. 80-81). Un souffle épique que l’on retrouvera plus tard dans La chevauchée vers la gloire, superbe peinture murale d’une abside du Panthéon, à Paris (1905). Car Detaille n’est pas seulement peintre. Il est également, à l’instar de Jean-Charles Langlois, un grand panoramiste et décorateur.

 

Maître peintre, homme influent, grand bourgeois, loyal en amitié, tels sont les qualificatifs dont on peut parsemer à la va-vite le brillant parcours d’Édouard Detaille. Cependant, il ne faut avant tout pas perdre de vue que celui qui fut parfois contesté pour son esthétique réaliste ou ses opinions politiques militaristes entend nous lèguer à travers son œuvre l’amour de la nation et de l’héroïsme qui l’ont toujours profondément habité. C’est à l’aune de ce patriotisme esthétisant et nullement outrancier qu’il nous faut aujourd’hui appréhender la beauté des toiles de Detaille.

 


Par Matthieu Roger

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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 09:22

Éditions de la Gouttière, 2010


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Vingt-deux scénaristes et dessinateurs de bande-dessinée se sont réunis autour de cet ouvrage pour proposer quinze très courts récits évoquant la Première Guerre mondiale. L’exercice est ardu, car il n’est pas facile, en seulement cinq ou six pages, d’offrir au lecteur un propos pertinent. Globalement le pari est réussi, à l’exception de Collatéral, Les Moustaches et Le Quart, trois propositions qui ne font pas mouche. En ce qui concerne la douzaine d’autres récits, ils se distinguent par un à-propos de bon aloi. Certains se démarquent par une identité graphique à la fois talentueuse et puissante, à l’image de Rouge festin, dessiné par Norédine Allam, Fragments, par Jean-François Bruckner, ou encore Les assis, par Damien Cuvillier. Ces trois dessinateurs ont saisi au bout leur crayon la tragédie de la mort à grande échelle, tout en mêlant symbolisme et réalisme. D’autres histoires sortent du lot grâce à leur scénario ou leur chute. C’est notamment le cas de L’exemple, écrit par Régis Hautière, au final en forme de coup de poing, et  des Croix de bois de Dorgelès, par Greg Blondin, dont la simplicité évocatrice confine à la poésie. Chaque récit est introduit par une photo d’archive et une citation, reliant ainsi les dessins aux traces historiques. J’aimerais citer Sofia, qui en ouverture de son Innocence déclare fort justement : « Pour le stratège militaire, le soldat est une arme que l’on utilise sans état d’âme. Dans l’esprit du combattant, l’ennemi n’est que le représentant d’un groupe qu’il faut soumettre ou supprimer. Convaincre un peuple qu’un autre représente le mal absolu n’est possible que si chacun d’entre nous oublie que l’autre c’est aussi soi, unique et précieux. Si pour certains, dévastés par la vengeance et la colère, la guerre reste l’unique réponse possible, nous devons parier sur l’avenir et croire que nos enfants réussiront là où nous avons failli. » (p. 22)

 

Cicatrices de guerre(s) est un beau petit album, qui nous offre des regards vraiment originaux sur le conflit de 1914-1918. Qu’ils soient muets ou dialogués, ses récits sont autant de chemins de traverses menant à la boue et à la mémoire des champs de bataille.

 

 

 

Par Matthieu Roger

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Rhapsodie

Mon âme et mon royaume ont pour vaisseaux les astres

Les cieux étincelants d’inexplorées contrées

Ébloui par l’aurore et ses nobles pilastres

J’embrasse le fronton du Parthénon doré

 

 

Frôlant l’insigne faîte des chênes séculaires

Je dévide mes pas le long d’un blanc chemin

À mes côtés chevauche le prince solitaire

Dont la couronne étreint les rêves de demain

 

 

Au fil de l’encre noire, ce tourbillon des mers

Ma prose peint, acerbe, les pennons désolés

D’ombrageux paladins aux fronts fiers et amers

Contemplant l’acrotère d’austères mausolées

 

 

Quiconque boit au calice des prouesses épiques

Sent résonner en lui l’antique mélopée

Du chant gracieux des muses et des gestes mythiques

Qui érigent en héros l’acier des épopées

 

 

Par Matthieu Rogercasque-hoplite