Louvre Éditions & Fonds Mercator, 2012
Wim Delvoye est un artiste hors-norme qui aime se jouer des codes et des conventions établies. Il est notamment connu pour avoir exploré les méandres des cloaques à travers sa machine, au nom prédestiné Cloaca, reproduisant le processus de digestion sous l’apparence d'un complexe laboratoire scientifique. Restant fidèle à cette provocation, il s'amuse à désacraliser son propre travail, arguant que l'art est de la merde avant de pousser ses expériences sur l'objet à travers la réalisation de tapis persans à base de charcuterie, de bouteilles de gaz décorées à l'antique où à l'effigie des moulins de Delft, de tatouages sur des cochons vivants, d'armoiries sur pelles ou planches à repasser, de faïences arborées d'excréments, de vitraux-X mêlant sexualité, religieux ou ossements, etc. Prospecteur des formes artistiques, des médiums ou des matériaux tels que le vitrail, la peau animale, le velours, la porcelaine, le bois, l'osier, le bronze et l'encre, il ose des combinaisons qui lui valent autant de reconnaissance que de réprobations. L'art de Delvoye n'a rien de conventionnel et c'est tant mieux !
À l'instar d'une grande majorité d'artistes, Wim Delvoye considère les musées comme des cimetières où les œuvres perdent de leur substance déplacées du lieu et du contexte de leur création où, figées dans le temps, elles dépérissent immobiles et solitaires. Il souhaite décloisonner l'art en le sortant de son élitisme pour l'offrir au public, le rendre visible et accessible à tous en l'extrayant des galeries. Alors, lorsqu'il investit le Louvre, de la Pyramide de Pei aux jardins des Tuileries en passant par les salles gothiques du département des Objets d'art et les illustres appartements de Napoléon III, la confrontation de ses créations avec les chefs-d’œuvres du célèbre musée a de quoi retenir l'attention. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que nous ne sommes pas déçus. Il a conçu, pour l'occasion, une sculpture monumentale pour la colonne du belvédère. Une immense flèche néo-gothique en acier Corten inoxydable, torsadée, de treize mètres de haut, de forme oblongue, pointée vers le ciel, est enchâssée dans le triangle de la pyramide de verre. Pour la base de la structure, il s'est inspiré de la cathédrale de Cologne, et pour les ornements, des toits et tours de Notre-Dame de Paris (ceux que Viollet-le-Duc avait imaginés pour Notre-Dame dont il possède une importante collection de vieux catalogues, de dessins et de motifs). Cette structure, inscrite dans la continuité d'un travail sur les torsions et anamorphoses de sculptures et l'analité, reste fidèle à son goût pour la provocation aussi bien par sa forme de suppositoire que par le nom qu'il lui donne : Suppo.
Comme un défi, ses œuvres viennent ensuite prendre place dans les mal-aimés salons Napoléon III. À travers Nautilus, une tour de cathédrale tordue et enroulée sur elle-même en forme de coquillage d'acier, Tapisdermie, trois cochons en fibre de verre recouverts de tapis qui rappellent ses cochons tatoués vivants sous anesthésie, ou encore la représentation d'une scène de copulation entre un cerf et une biche trônant sur la grande table du salon, il dévoile l'étendue de son art pour l'extravagance et l'anachronisme. C'est aussi l’opportunité de découvrir son intrigante série Interprétation de Jésus sur la croix. Dans ces sculptures, il transforme le symbole baroque des crucifix en hélices d'ADN, en anneaux de Möbius, en cercles, en sinusoïdes, poussant par la même occasion la provocation à la limite du blasphème. L'art de Wim Delvoye est de bon ton à l'heure où le dessin de presse est au centre d'un scandale qui embrase le monde. Il est de ces artistes complets dévoyant l'art au point de le tourner en dérision, de le caricaturer. Il explore les frontières du possible et amène à réfléchir sur le sens de l'art. À travers ses travaux, l'histoire artistique n'est plus un simple mouvement linéaire où les périodes et les styles se succèdent. Il déforme le temps autant qu'il déforme ses œuvres en mélangeant les genres et les époques. Au même titre que la caricature, il désacralise ce que certains souhaiteraient intouchable, et le fait de surcroît avec talent. Rien n'est plus, dans ses œuvres, ni désuet, ni d'avant-garde. Tout n'est qu'uniquement matière à créer. Il a d'ailleurs lui-même réalisé la couverture du catalogue, en s'inspirant des romans de Jules Verne aux éditions Hetzel, et c'est fidèle à son inénarrable dérision que sa quatrième de couverture arbore une fourchette faisant un bras d’honneur. Wim Delvoye est un créateur polyvalent, doué, perfectionniste, facétieux et excentrique, en avance sur son temps tout en étant tourné vers le passé. Comme si seul le présent lui échappait, que son éphémérité lui restait insaisissable. Curieux, c'est l'un des plus grands collectionneurs de la marque La Vache qui rit. Son œuvre a été influencée par les logos publicitaires et les images de séries Z, la bande-dessinée, les dessins animés de Walt Disney (dont il partage les initiales) et l'art gothique qu'il mélange à la sculpture académique du XIXe siècle. Il a révolutionné l'art contemporain en faisant le lien entre l'artisanat et l'art populaire, notamment par le détournement de l'art néo-gothique, considéré comme barbare, le réactualisant à travers des objets industriels et ordinaires du quotidien tels que des pelleteuses, des bétonneuses, des camions, des bulldozers, etc. Il les traite comme des cathédrales de bois, de pierre ou d'acier pour rendre hommage aux prouesses architecturales du passé. Son travail surréaliste et anachronique est encore une fois une preuve du talent de l'artiste pour le contre-emploi et la juxtaposition d'univers.
S'il est de ces artistes qui oscillent entre la folie et le génie, j’espère tout simplement qu'il est beaucoup des deux !
Par KanKr