Les Éditions Noir sur Blanc, 2014
Aujourd'hui, nous allons dessiner la mort est un livre effrayant. Effrayant car Wojciech Tochman, grand reporter polonais fondateur en 2009 de l'Institut polonais du reportage, y narre les atrocités subies par les Rwandais durant la guerre civile et le génocide de 1994. Pour ce faire, il s'est rendu au Rwanda à plusieurs reprises, et y a collecté durant des mois les témoignages des témoins qui ont survécu jusqu'à aujourd'hui. Il a ainsi rencontré et interrogés aussi bien des rescapés que des bourreaux, des prisonniers, des personnels associatifs et humanitaires, des anciens militaires, des religieux, un psychiatre, un juge, ou bien encore la secrétaire d'Etat rwandaise pour la famille, les femmes et les enfants, etc. Il nous livre ici la compilation de leurs témoignages bruts, sans ordonnancement précis, sans chercher à prendre parti ni livrer d'analyse pointue du conflit. Tout juste se borne-t-il à livrer un bref rappel, dans le premier chapitre, du contexte géopolitique et socio-culturel du conflit entre Hutus et Tutsis. La lecture de toutes ces horreurs m'a donné la nausée. Meurtres, viols, découpages à la machette, actes de barbarie, tortures, infanticides et j'en passe, il semble bien que le mal régnait sans partage au Rwanda en cette année 1994. Des martyrs des suppliciés à la détresse psychologique ressassée par certains bourreaux aujourd'hui, comment un peuple a-t-il pu ainsi s'entredéchirer, s'automutiler ? A cette question Wojciech Tochman ne formule aucune réponse, animé par un impérieux devoir de mémoire le poussant à accumuler sur son calepin d'innombrables récits individuels. Les mots se muent alors en échos lointains de l'inhumanité en action des milices Interahamwe : "annihiler, exterminer, éliminer, supprimer, liquider, broyer, effacer, abattre, briser, exécuter, décapiter, découper, couper, décimer, anéantir, extirper, zigouiller, en finir, une fois pour toutes, définitivement, terminer, tabasser, taillader, égorger, démolir, massacrer, assassiner, tuer, violer à mort" (p. 63).
Solidement documenté, Aujourd'hui, nous allons dessiner la mort donne la parole à ceux qui vécurent le pire au plus profond de leur chair. Ravivant l'innommable, il n'en livre pas moins une vision non fantasmée du Rwanda, pays qui rêve au XXIe siècle d'une nation retrouvée, mais dont les blessures à vif sont encore loin de se refermer. Un livre choc, bouleversant.
Par Matthieu Roger