Éditions de la Gouttière, 2010
Vingt-deux scénaristes et dessinateurs de bande-dessinée se sont réunis autour de cet ouvrage pour proposer quinze très courts récits évoquant la Première Guerre mondiale. L’exercice est ardu, car il n’est pas facile, en seulement cinq ou six pages, d’offrir au lecteur un propos pertinent. Globalement le pari est réussi, à l’exception de Collatéral, Les Moustaches et Le Quart, trois propositions qui ne font pas mouche. En ce qui concerne la douzaine d’autres récits, ils se distinguent par un à-propos de bon aloi. Certains se démarquent par une identité graphique à la fois talentueuse et puissante, à l’image de Rouge festin, dessiné par Norédine Allam, Fragments, par Jean-François Bruckner, ou encore Les assis, par Damien Cuvillier. Ces trois dessinateurs ont saisi au bout leur crayon la tragédie de la mort à grande échelle, tout en mêlant symbolisme et réalisme. D’autres histoires sortent du lot grâce à leur scénario ou leur chute. C’est notamment le cas de L’exemple, écrit par Régis Hautière, au final en forme de coup de poing, et des Croix de bois de Dorgelès, par Greg Blondin, dont la simplicité évocatrice confine à la poésie. Chaque récit est introduit par une photo d’archive et une citation, reliant ainsi les dessins aux traces historiques. J’aimerais citer Sofia, qui en ouverture de son Innocence déclare fort justement : « Pour le stratège militaire, le soldat est une arme que l’on utilise sans état d’âme. Dans l’esprit du combattant, l’ennemi n’est que le représentant d’un groupe qu’il faut soumettre ou supprimer. Convaincre un peuple qu’un autre représente le mal absolu n’est possible que si chacun d’entre nous oublie que l’autre c’est aussi soi, unique et précieux. Si pour certains, dévastés par la vengeance et la colère, la guerre reste l’unique réponse possible, nous devons parier sur l’avenir et croire que nos enfants réussiront là où nous avons failli. » (p. 22)
Cicatrices de guerre(s) est un beau petit album, qui nous offre des regards vraiment originaux sur le conflit de 1914-1918. Qu’ils soient muets ou dialogués, ses récits sont autant de chemins de traverses menant à la boue et à la mémoire des champs de bataille.
Par Matthieu Roger