Éditions Mille et une nuits, 2006
Avec De la guerre (première publication en 1832), Carl von Clausewitz est sans aucun doute l’un des théoriciens qui a le plus influencé la stratégie militaire moderne. Le petit manuel intitulé Principes fondamentaux de stratégie militaire, rédigé en 1812, était en fait destiné à la formation militaire du Prince de Prusse, dans lequel le théoricien prussien expose de manière concise et très générale ses idées-forces pour vaincre l’ennemi.
Ce qui transparaît avec netteté dans cet ouvrage, c’est la rupture tactique avec la période pré-napoléonienne. Au niveau de la mise en ordre de bataille des régiments par exemple, von Clausewitz abandonne le modèle en ligne, jugé trop étendu et pas assez résistant, pour des formations en colonne ou en profondeur, qui permettent une meilleure utilisation des réserves et plus de possibilités en termes d’adaptabilité tactique. D’un point de vue bien plus général, il insiste également sur l’importance de la ferveur des soldats, sans laquelle aucune opération militaire ambitieuse ne pourrait réussir. Bref, on distingue bien qu’il y a pour Clausewitz un avant et un après Napoléon, cet homme qui domine encore en 1812 l’Europe et incarne à ses yeux le génie militaire. Bon nombres des exemples dont il se sert pour illustrer ses propos sont d’ailleurs tirés des campagnes napoléoniennes. C’est que, contrairement à certains autres théoriciens prussiens (tel Heinrich von Bülow qui a mis au point une doctrine géométrique et quasi mathématique des batailles), l’auteur pense qu’on ne peut analyser la guerre qu’à l’aune des exemples historiques antérieurs. Chez lui on retrouve une certaine prédominance de la notion de rupture tactique. Ces points d’achoppement de la l’ordre de bataille doivent être considérés comme l’espace-temps-clé de la bataille, celui qui permettra de percer la ligne ennemie ou d’engager une manœuvre tournante décisive.
Adoptant une démarche parfois comparable à celle du grand Sun Tse, Clausewitz essaye constamment d’échapper à tout dogmatisme intellectuel. Il insiste notamment sur l’importance d’admettre la guerre comme un combat à grande échelle, soumis aux lois du hasard et à une grande quantité de facteurs exogènes. D’où cette notion très intéressante de « friction », qu’il fait correspondre aux facteurs et conditions imprévisibles qui viendront presque systématiquement corser une bataille jugée a priori facile. La révolution tactique napoléonienne, en généralisant la partition de l’armée en différents corps d’armée autonomes, tente de résoudre ces points de friction au moyen d’une plus grande adaptabilité aux circonstances topographiques et stratégiques de conflit armé.
Les Principes fondamentaux de stratégie militaire constituent l’ouvrage par excellence d’introduction à la pensée de Carl von Clausewitz. De la guerre n’en reste pas moins son ouvrage de référence, dont nous ne saurions trop vous recommander la lecture.
Par Matthieu Roger