Librairie Alphonse Lemerre, fin XIXe
Alphonse Lemerre était un éditeur de la seconde moitié du XIXe siècle qui s’attacha particulièrement à la promotion et à la diffusion des œuvres des poètes parnassiens. Ce n’est donc pas une surprise de le voir publier les écrits de François Coppée, dans le sillage des plus illustres chef de file du Parnasse que sont Leconte de Lisle et José-Maria de Heredia. Malheureusement disparu de la mémoire commune, il faut aujourd’hui remettre la main sur des éditions anciennes telles que celle que je vous présente aujourd’hui pour pouvoir redécouvrir la poésie de François Coppée. Cet aristocrate né en 1842 et décédé en 1908 a beaucoup écrit sur les plus humbles, les petites gens, les invisibles, ce qui lui vaut le surnom de « poète des Humbles » selon son préfacier Jean Monval. Son œuvre poétique, que l’on retrouve ici rassemblée en trois volumes, s’articule ainsi selon des thématiques auxquelles il ne dérogera jamais : un humanisme universaliste affirmé, le sentiment religieux et le patriotisme. Telle était la Sainte-Trinité de ce poète paternaliste, catholique et nationaliste, filiation somme toute assez représentative de la bourgeoisie française de son époque.
Ses poésies laissent avant tout apparaître un homme sensible, simple, au verbe délicat, amoureux de Paris et conscient du combat déséquilibré induit par la lutte des classes. Maniant aussi bien l’alexandrin que le décasyllabe ou l’octosyllabe, il n’a de cesse de mettre en exergue la condition sociale dramatique des plus pauvres, sans renier le lyrisme des muses et amours impossibles. D’un point de vue stylistique, ses différents cahiers poétiques sont de très bonne facture : à l’évidence François Coppée maîtrisait son art. Mais de ces multiples recueils, qui témoignent d’une plume prolixe, ce sont les poèmes composant les Récits épiques qui se dégagent en premiers. Dans la veine d’un Hugo ou Heredia, certains sont même de petits bijoux ciselant les siècles passés, à l’image du Pharaon et La Tête de la Sultane, dont voici respectivement deux extraits :
(…)
Rêve aussi colossal que tu pourras rêver,
Fils des dieux ! et, pour toi, nous ferons soulever
Des milliers de blocs lourds par des millions d’hommes.
Ô pharaon tout est à toi dans les vingt nomes,
Le soldat casque d’or, le prêtre circoncis,
Le scribe l’artisan à son travail assis,
Ceux de tous les métiers et de toutes les castes ;
Et jamais tes désirs ne seront assez vastes.
Parle, ordonne, commande ; et nous obéirons.
(…)
(…)
Sur un large divan mollement étendu
Et coiffé d’un turban d’où jaillit son aigrette,
Mahomet le reçoit dans la chambre secrète
Où fument les parfums sur quatre pieds d’or.
Voluptueux et veule, il laisse errer encor
Son indolente main sur la guzla d’Épire ;
Et celle qui commande au maître de l’empire
Et cause contre lui tant de rébellion,
Presque nue à ses pieds sur la peau d’un lion,
De ses longs cheveux noirs voile ses formes blanches.
(…)
Par Matthieu Roger