Éditions Gallimard, 2011

Ce livre traînait dans ma bibliothèque depuis longtemps, mais la crise due au Covid-19 que nous traversons actuellement m’a enfin donné une bonne raison de l’ouvrir. En effet, la question de notre comportement individuel et collectif face à une catastrophe d’une telle ampleur est aujourd’hui interrogée et scrutée chaque jour, que ce soit via les médias ou bien plus simplement au sein de la sphère privée.
Dans Du bon usage des catastrophes, l’écrivain et philosophe français Régis Debray questionne avec une ironie mordante le positionnement de nos sociétés contemporaines face au risque. Comment appréhendons-nous la catastrophe ? Que représente-t-elle pour nous ? À ces questions l’auteur dégage trois axes de réflexion. La catastrophe peut tout d’abord avoir valeur d’avertissement. Elle peut également avoir valeur de pédagogie. Enfin, elle peut s’entendre comme une « alerte à l’alerte, mise en garde contre le catastrophisme ». Trois entrées en matière possibles, qui conduisent l’auteur à diriger ses pas vers la figure du prophète, souvent considéré comme oiseau de mauvais augure, mais dont la fonction annonciatrice a traversé les siècles et les civilisations. Car l’homme ne s’est jamais départi de cette pulsion viscérale le conduisant à symboliser chaque signe. C’est cette frénésie du symbole, de la vision, de l’interprétation qui a ouvert la voie à tous les prophétismes possibles et inimaginables. Du philosophe de comptoir à l’éditorialiste médiatique, du tribun religieux au redresseur de torts politique, du complotiste à l’exégète eschatologique, nos sociétés contemporaines se trouvent saturées de ce verbe imprécateur, qui s’impose à nous bien plus pour le pire que pour le meilleur. Ces diatribes aux différents registres mêlent principalement comme modes opératoires la surprise de la nouveauté, des concepts vagues et abstraits, le martèlement de la répétition, ainsi qu’une prétention à l’hétérodoxie. Avec pour conséquence ultime la plus grande catastrophe d’entre toutes : l’anémie de la pensée.
Par Matthieu Roger