Éditions du Seuil, 2015
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Michel Pastoureau, historien français spécialiste de la symbolique des couleurs, des animaux et du Moyen Âge, démontre avec cet ouvrage que la grande Histoire, celle qu’on affuble souvent d’un grand H, s’accorde souvent selon les aléas de l’improbable, de ce qui peut passer de prime abord pour une simple anecdote. Il revient en effet sur la mort accidentelle, en 1131, de Philippe, fils aîné du roi Louis VI le Gros. Or, jusqu’au XIIe siècle, il est encore d’usage que le fils aîné du roi de France soit sacré roi dès son plus jeune âge, afin d’assurer officiellement la ligne de succession. C’est donc un roi qui de France qui décède en 1131. Sauf que les circonstances de cette mort paraissent ignominieuses aux yeux des contemporains de l’époque : un vulgaire cochon domestique a surgi et traversé la route aux pieds du cheval de Philippe, lequel a paniqué, a renversé son noble cavalier et s’est abattu sur lui, provoquant de mortelles blessures.
Au-delà des circonstances inhabituelles de cet accident, Michel Pastoureau développe sa thèse au fil des pages : selon lui, cette souillure et cette infâmie dues à un simple porcus diabolicus ont conduit la famille royale à redorer son blason en plaçant désormais le royaume de France sous la protection mariale du lys célestiel et de la couleur bleu, couleur s’imposant comme la couleur divine par excellence. C’est donc en réponse à un porc gyrovague que la monarchie française se serait drappée de ces attributs protecteurs et rédempteurs. Le roi de France devient alors le seul dynaste européen à orner, avec le lys, ses armoiries d’un emblème végétal, au contraire de ses pairs qui arborent quasi systématiquement un animal, à l'instar des léopards anglais ou du taureau suédois. Il devient ainsi rex christianissimus, le « roi très chrétien ». Une thèse originale que l’auteur expose et défend avec brio, nous emmenant dans les coulisses des symboles du pouvoir au Moyen Âge, étudiant leur articulation avec le pouvoir religieux, et narrant le rapport judiciaire que les femmes et hommes de ce temps entretenait avec les animaux. Jusqu’au XVIe siècle, il est ainsi commun de voir des animaux, domestiques ou non, traduits en justice et executés derechef !
Le roi tué par un cochon est un livre d’histoire à la fois très bien documenté et ludique, qui nous conte pourquoi et comment le bleu devint le couleur de la France, grâce à un pourceau égaré. Surprenant et passionnant !
Par Matthieu Roger