Le Cherche Midi éditeur, 1982
Drôle de gageure que celle de rassembler les « cent plus beaux sonnets de la langue française » en un seul volume. Tâche quasi impossible serait-on même tenté de dire, tellement la littérature française a donné et donne encore à l’art poétique. Dans cet ouvrage publié en 1982 aux éditions du Cherche Midi, Marie Letourneur tente de relever le défi, en divisant le livre en deux parties distinctes. La première regroupe une sélection de cent poèmes, présentés chronologiquement et censés être représentatifs des plus beaux traitements de cette forme très codifiée que constitue le sonnet. De Clément Marot au XVIe siècle jusqu’à Raymond Queneau au XXe, Marie Letourneur nous propose ici sa sélection personnelle, où l’on retrouve en bonne place les plus grands noms, tels Nerval, Baudelaire ou Hérédia, mais aussi des poètes aujourd’hui injustement oubliés, à l’image de Claude de Malleville (1597-1647), Charles Cros (1842-1888) ou encore Claudius Popelin (1825-1892). Si certains choix de Marie Letourneur sont discutables, le lecteur prend plaisir à parcourir ces poèmes aux univers ciselés, fortement empreints des thèmes romantiques.
De plus, dans la seconde partie de cette anthologie, une petite trentaine de poèmes sont regroupés, qui illustrent l’évolution stylistique du sonnet à travers les âges, et les débats littéraires qui s’ensuivirent. Nulle possibilité en effet, si ce n’est la licence poétique dont s’arrogent certains, d’échapper à la construction formelle en deux quatrains suivis de deux tercets. Mais le sonnet peut aussi constituer une arme de premier choix lorsqu’il se mue en pamphlet, diatribe, satire ou brocard. À titre d’exemple, comme le rappelle Marie Letourneur dans sa préface, « la polémique que suscite les œuvres de Benserade et de Voiture est sans doute l’épisode le plus marquant de l’Histoire de la Préciosité. Jobelins et Uranistes s’affrontent. Balzac se fera rapporteur et Corneille consigne l’événement ». Je ne peux m’empêcher de conclure cette courte chronique en vous livrant un poème d’Auguste Brizeux publié en 1874 qui, tout en modifiant la forme consacrée avec une composition renversée de deux tercets précédant deux quatrains, rend un hommage appuyé à la rythmique sonnettiste :
Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe,
Le sonnet qui s’aiguise et finit en tercet :
Au solide quatrain la part faible est mal jointe.
Je voudrais commencer par où l’on finissait.
Tercet, svelte, élancé, dans ta grâce idéale,
Parais donc le premier, forme pyramidale !
Au-dessus les quatrains, graves, majestueux
Liés par le ciment de la rime jumelle,
Fièrement assoiront leur base solennelle,
Leur socle de granit, leurs degrés somptueux.
Ainsi le monument s’élève harmonieux,
Plus de base effrayante à l’œil qui chancelle :
La base est large et sûre et l’aiguille étincelle,
La pyramide aura sa pointe dans les cieux
Par Matthieu Roger