Le Cercle de Bibliophilie, 1963
Han d’Islande est une oeuvre importante dans le parcours du jeune Victor Hugo, celui-ci l’ayant publié en 1823 à seulement 21 ans. Rien qu’à la lecture de ce roman d’intrigues et d’aventures, on se rend compte de l’extrême précocité stylistique du futur génie de la littérature. Hugo avait d’ailleurs déjà écrit et publié Bug-Jargal, son tout premier roman, cinq ans auparavant, à 16 ans ! Avec Han d’Islande il nous livre un récit qui emprunte beaucoup au genre théâtral, puisque la narration est basée sur une succession ininterrompue de rebondissements plus ou moins attendus, ainsi que sur un écheveau complexe de relations entre les protagonistes. Hugo était très ambitieux quant à l’écriture de ce livre, songeant au départ à une composition en quatre volumes qui aurait conféré à cette histoire la portée et la densité d’une véritable saga. Bien lui en prit par la suite de ramasser son propos afin de resserrer la narration autour d’un axe principal : un sombre complot visant à abattre définitivement Schumacker, ancien chancelier du Royaume de Norvège emprisonné dans le donjon de Munckholm.
L’histoire de Han d’Islande prend place dans la Norvège de la toute fin du XVIIe siècle. Comme nous l’avons déjà dit il y est question de complots politiques, mais aussi de rébellion populaire, de quête aventureuse, de légendes, d’honneur, d’un brigand à l’aura maléfique et surhumaine, de trahison et d’amour. C’est cette thématique amoureuse qui permet à Hugo de nous livrer ses plus beaux moments de prose, lorsque le romantique se mêle à la noblesse d’âme des deux amants, qui ne sont autres qu'Ordener Guldenlew, fils du vice-roi, et Éthel Schumacker, fille du détenu disgracié. Je cite : « Ordener s'inclina devant cet ange. Son âme sentait trop pour que sa bouche pût parler. Ils restèrent quelque temps sur le coeur l'un de l'autre. Au moment de la quitter, peut-être pour jamais, Ordener jouissait, avec un triste ravissement, du bonheur de tenir une fois encore toute son Éthel entre ses bras. Enfin, déposant un chaste et long baiser sur le front décoloré de la douce jeune fille, il s'élança violemment sous la voûte obscure de l'escalier en spirale, qui lui apporta un moment après le mot si lugubre et si doux : Adieu ! »
Han d’Islande, malgré quelques procédés scénaristiques trop prévisibles, est un roman historique de très bonne facture. Bien moins connu que d’autres chefs-d’oeuvre tels que Notre-Dame de Paris ou Les Misérables, il mérite néanmoins que le lecteur s’y attarde et parcoure un bout de chemin sur les côtes désolées de Trondheim.
Par Matthieu Roger