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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 14:28

Éditions Gallimard, 1996

covers baudelaire

 

 

Les Fleurs du Mal, au même titre que Les Trophées de Heredia, sont un des plus grands chefs-d’œuvre de la poésie. Charles Baudelaire, en cherchant à extraire la beauté du mal, nous livre des vers à jamais ancrés dans la mémoire collective. Il serait trop facile de citer pour exemple L’Albatros, appris par cœur par plusieurs générations d’écoliers, tant les poèmes qui composent ce recueil s’avèrent plus éblouissants et émouvants les uns que les autres.

 

De prime abord, ce livre peut surprendre par le côté extrêmement sombre des sphères explorées. Il n’y est pas question d’amour parfait, mais de femmes fatales, de monstruosités, de mort, de putréfaction des corps et des âmes. Certains passages, tels Les métamorphoses du vampire (p. 197), convoquent même un registre des plus horrifiques :

                                                                                                                              

« Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus

Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! »

 

 Ce n’est pas pour rien que Baudelaire fut en son temps traîné devant les tribunaux – et condamné ! – pour outrages aux bonnes mœurs, comme le fut Flaubert pour Salammbô. Mais la puissance d’écriture de l’auteur ne se complaît jamais dans l’abject ou le laid, restituant le malaise de la condition du poète grâce à un lyrisme poignant, nullement éthéré. Si la menace de la damnation sourde à chaque rime, son talent de peintre n’est jamais aussi évocateur que lorsqu’il saisit le choc des épées (Duellum p. 69) :

 

« Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre ; leurs armes

Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang.

Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes

D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant.

 

Les glaives sont brisés ! Comme notre jeunesse,

Ma chère ! Mais les dents, les ongles acérés,

Vengent bientôt l’épée et la dague traîtresse. »

 

Un talent de peintre qui lui permet également de restituer la couleur et la lumière des lieux les plus anodins :

 

« Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,

Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,

Contempler nos dîners longs et silencieux,

Répandant largement ses beaux reflets de cierge

Sur la nappe frugale et les rideaux de serge. »

 

Les Fleurs du Mal se respirent sans modération ; leur scansion envoûtante exhale un parfum capiteux qui ne peut laisser indifférent. Grisé par le rythme et la mélancolie irrépressible du spleen, le lecteur ne peut que s’incliner devant la geste poétique du poète maudit. À plusieurs reprises je me suis retrouvé à en débiter les vers intérieurement, sans chercher à en comprendre le sens, pour le pur plaisir de voir l’harmonie jaillir de leurs rimes.

  

Par Matthieu Roger

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commentaires

M
<br /> <br /> Pour le côté sombre, les critiques de Baudelaire parlent de "sadisme baudelairien". Et c'est vrai que certains poèmes, notamment La Charogne ou Voyage à Cythère filent<br /> indubitablement la nausée (au sens propre du terme pour La Charogne, c'est un poème très visuel...).<br /> <br /> <br /> Je ne saurais plus te dire dans quel bouquin j'ai exploré la notion de "sadisme baudelairien", mes souvenirs d'hypo commencent à être déjà bien lointains...<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Je ne connaissais pas cette expression ; on pourrait aussi parler de délices mortifères.<br /> <br /> <br /> <br />

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Rhapsodie

Mon âme et mon royaume ont pour vaisseaux les astres

Les cieux étincelants d’inexplorées contrées

Ébloui par l’aurore et ses nobles pilastres

J’embrasse le fronton du Parthénon doré

 

 

Frôlant l’insigne faîte des chênes séculaires

Je dévide mes pas le long d’un blanc chemin

À mes côtés chevauche le prince solitaire

Dont la couronne étreint les rêves de demain

 

 

Au fil de l’encre noire, ce tourbillon des mers

Ma prose peint, acerbe, les pennons désolés

D’ombrageux paladins aux fronts fiers et amers

Contemplant l’acrotère d’austères mausolées

 

 

Quiconque boit au calice des prouesses épiques

Sent résonner en lui l’antique mélopée

Du chant gracieux des muses et des gestes mythiques

Qui érigent en héros l’acier des épopées

 

 

Par Matthieu Rogercasque-hoplite