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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 14:53

Éditions Gallimard, 1981

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Pour la grande majorité d’entre nous, le nom d’Herman Melville reste indissociable de son célèbre roman Moby Dick. Peu savent que l’écrivain américain consacra une grande partie de sa carrière d’écrivain à la poésie. Comme l’indique Pierre Leyris en introduction à sa préface : « longtemps, pour presque tous, la poésie de Melville resta sous-estimée en Amérique ». Ce recueil de dix-sept poèmes tirés de Battle-Pieces and Aspects of The War (Tableaux de bataille et aspects de la guerre) nous permet de découvrir une poésie très humaniste, proche de la nature, qui met en exergue le sacrifice des hommes lors de la Guerre de Sécession. Le point fort de ce livre est de nous proposer une édition bilingue de ces Poèmes de guerre, le lecteur pouvant effectuer un va-et-vient permanent entre la version anglaise et la version française. Petit bémol à ce sujet : je trouve la traduction française réalisée par Pierre Leyris de qualité assez inégale selon les poèmes. Mais il est vrai que l’exercice est tout sauf facile. La poésie d’Herman Melville est logiquement bien plus forte et expressive dans sa version originale. Parmi tous les poèmes de ce recueil, c’est incontestablement celui relatant la bataille de Fort Donelson (12-16 février 1862) qui s’avère le plus marquant ; le lecteur se retrouve transporté tantôt en ville auprès de la population avide des nouvelles du front, tantôt au cœur des combats épiques pour la prise du fort. Laissons Melville nous conter une sortie des assiégés confédérés :

 

“After some vague alarms,

Which left our lads unscared,

Out sallied the enemy at dim of dawn,

With cavalry and artillery, and went

In fury at our environment.

Under cover of shot and shell

Three columns of infantry rolled on,

Vomited out of Donelson–

Rolled down the slopes like rivers of hell,

Surged at our line, and swelled and poured

Like breaking surf. But unsubmerged

Our men stood up, except where roared

The enemy through one gap. We urged

Our all of manhood to the stress,

But still showed shaterness in our desperateness.” (Donelson, p. 58)

 

Présent à la fin du livre, un Supplément écrit par l’auteur détaille l’état d’esprit dans lequel celui-ci composa ses Battle-Pieces, et fournit une prospective politique pour les États-Unis après la guerre civile. Soulignons l’excellent avant-propos de Philippe Jaworski, qui présente de manière claire et synthétique le contexte historique de la Guerre de Sécession.

 


 

Par Matthieu Roger


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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 19:08

Editions Velours, 2011

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Dès les premières pages, on comprend que l’auteur de ce recueil de poésies ne porte pas la Révolution française dans son cœur, ce que laissait d’ailleurs présumer le titre de l’ouvrage : À notre chère Vendée, à ses héros et martyrs. D’emblée, I. d’Hocquincourt se place dans la suite des historiens et universitaires partisans de la thèse du génocide vendéen. Ceux-ci, parmi lesquels on peut notamment citer Reynald Secher, Pierre Chaunu, Jean Tulard, Emmanuel Leroy Ladurie ou Stéphane Courtois, qui considèrent que la répression de l’insurrection vendéenne procède d’une volonté génocidaire des républicains. Il est en fait très malaisé de prouver par A plus B une telle thèse, puisque des pertes vendéennes il n’a à l’époque été fait aucun décompte précis. La majorité des historiens qui se sont penchées sur la question estiment de fait le nombre de vendéens tués dans les combats ou massacrés à environ 200.000. De plus, si un fanatique tel que Barère prôna bel et bien l’extermination de « cette race rebelle des Vendéens », des voix s’élevèrent contre les atrocités des colonnes infernales dans le camp même des républicains. Quoi qu’il en soit, au-delà des querelles terminologiques, on comprend au vu des exactions commises pourquoi les guerres de Vendée (1793-1796) restent un épisode peu célébré par la mémoire nationale. Les colonnes rouges de la toute jeune République se montrèrent en effet d'une cruauté sans pareille : femmes, enfants et nourrissions passés au fil de la bayonnette, prisonniers éventrés et éviscérés, personnes brûlées ou écorchées vives, viols, pillages, rien de fut épargné aux insurgés de la Vendée militaire.

 

La poésie de I. d’Hocquincourt souffre parfois de quelques redondances de vocabulaire ou de syntaxe, mais elle possède la force et le lyrisme des épopées martyrologues. Se pliant aux contraintes formelles de l’alexandrin, le style quelque peu marmoréen de l’auteur n’est pas sans rappeler l’atmosphère tragique que se plaisait à véhiculer le courant parnassien. Glorifiant l’héroïsme et le sacrifice des partisans vendéens, il n’a en contrepoint pas de mot assez dur pour qualifier l’infamie des troupes républicaines. Il est vrai que le général républicain Biron lui-même dépeignait ces dernières en termes peu élogieux : « un ramas de bandits et d’échappés de galères ». Voici à titre d’illustration quelques strophes des plus évocatrices, tirées du poème Ils sont morts les Vendéens (p. 73) :

 

« Les Vendéens sont morts dans la grande détresse

Les yeux absents tendus vers un autre horizon

Dans l’effroi du dernier spasme qui se redresse

Et cherche et voit, là-bas, se brûler sa maison

 

Les Vendéens sont morts parce qu’il faut qu’on meure

Pour germer quelques jours en épis immortels…

Les Vendéens sont morts pour leur pauvre demeure

Et pour les vieux clochers et pour les vieux autels…

 

(…)

 

Les Vendéens sont morts et leur bouche est remplie

 De la glaise sacrée où s’engluaient leurs pas.

Et leur chair à la chair des sillons bruns s’allie

En l’étreinte d’amour qu’on ne brisera pas. »

 

 

À ceux qui voudraient se pencher un peu plus profondément sur le déroulement des guerres de Vendée, je conseille très synthétique et très factuel ouvrage publié en 2008 par Jean-Clément Martin dans la collection « Découvertes Gallimard » : Blancs et Bleus dans la Vendée déchirée.

 

 

Par Matthieu Roger

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 12:57

Éditions Points, 2011

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La poésie de Charles Bukowski est crue, aride, violente, désespérée. Elle peint des figures marginales, qui se morfondent dans une Amérique aussi cruelle qu’insolite. Charles Bukowski, qui fut à la fois poète et romancier, lance les mots comme on tire au revolver, sans respect ni de la syntaxe ni des convenances :

 

« (…) J’ai fait un trou dans la grille

pour élargir mon champ de vision et lorsque les jambes

se sont mises à défiler au-dessus de ma tête,

j’ai eu le temps de descendre un colonel, un major et trois lieutenants

avant que l’orchestre arrête de jouer ;

et maintenant c’est comme une guerre, des uniformes

partout, derrière les voitures et les broussailles,

et pan pan pan

ma cave est un vrai feu d’artifice, et je

riposte, le colt est aussi brûlant

qu’une patate cuite au four (…) » (venus avec la marche, p. 22)

 

À beau chercher un dénominateur commun à ce recueil de poésies je n’en vois que deux. Le pessimisme ambiant tout d’abord, qui n’épargne ni l’homme ni l’acte poétique lui-même :

 

« (…)

qu’est-ce que la poésie ? personne ne sait. ça varie. ça fonctionne

tout seul comme un escargot rampant sur le mur d’une maison. oh,

c’est une grosse chose spongieuse qui devient toute gluante et visqueuse

quand on

marche

dessus. (…) » (caca & autres immolations, p. 205)

 

L’incongruité des titres et sujets traités ensuite : poème pour les chefs du personnel, fourmis défilant sur mes bras ivres, comment ça se passe à l’intérieur d’une conserve de pêches, pédé, pédé, pédé, au diable Robert Schumann, caca & autres immolations, etc. Ce n’est pas pour rien que ce recueil s’intitule Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, les titres égarent le lecteur autant que la poésie disjointe et disharmonique de leur auteur. L’incipit d’un poème est une ville (p. 54) résume bien cet univers tourmenté que campe Charles Bukowski. Ici l’anaphore est reine dans un monde en déroute :

 

« un poème est une ville remplie de rues et d’égouts

remplie de saints, de héros, de mandiants, de fous,

remplie de banalité et de bibine,

remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de

sécheresse, un poème est une ville en guerre,

un poème est une ville demandant à une horloge pourquoi,

un poème est une ville en feu,

un poème est une ville dans de sales draps

ses boutiques de barbiers remplies d’ivrognes cyniques,

un poème est une ville où Dieu chevauche nu

à travers les rues comme Lady Godiva,

où les chiens aboient la nuit et chassent

le drapeau ; un poème est une ville de poètes, la plupart d’entre eux interchangeables,

envieux et amers... »

 

Personnellement cet ouvrage m'a quelque peu rebuté, car j’ai dû mal à concevoir l’art poétique sans portée esthétique clairement assumée. Mais le style d’écriture de Bukowski est tellement particulier que tout à chacun pourra se faire son avis sur la question après la lecture de seulement quatre ou cinq de ses poèmes. Envie de broyer des idées noires ? Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines est sans doute le livre qu’il faut.

 

 

 

Par Matthieu ROGER

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 00:29

Éditions Gallimard, 2008

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J’avoue qu’il y a quelques jours encore je ne connaissais encore pas ce grand poète contemporain qu’est Christian Bobin. Je suis tombé sur La Présence pure et autres textes au détour des rayons d’une librairie, et les deux ou trois extraits parcourus m’ont tout de suite semblés porteurs des plus belles promesses. Acquisition coup de cœur en forme de coup de poker gagnant, puisque la lecture de ce recueil de prose poétique m’a transporté dans les limbes de la félicité littéraire.

 

Cet ouvrage regroupe dix textes différents, qui confrontent tous l’homme à sa propre finitude : L’Autre Visage, Lettre pourpre, Le feu des chambres, Le baiser de marbre noir, Dame, roi, valet, Mozart et la pluie, Un désordre de pétales rouges, L’Équilibriste, La Présence pure, et Le Christ aux coquelicots. L’étendue du champ d’investigation de ces textes-poèmes est tellement vaste qu’il ne pourrait se résumer en quelques phrases. Sachez juste que l’écriture de Christian Bobin est forte, d’une force à la fois sensible et juste, puissamment mélancolique. Cette sensibilité à fleur de peau, ou devrais-je dire à fleur de prose, est si magnifique qu’elle m’a à plusieurs reprises amené les larmes aux yeux. La beauté de son écriture n’est pas descriptible, elle se vit au fil des mots qui inondent l’esprit du lecteur pour l’emmener vers une lucidité parfois triste mais jamais morose. Car on le comprend assez vite, l'auteur est un amoureux des hommes et de la nature, dont il raccroche la vie à l’immanence de Dieu.

Ce sont L’Autre Visage et La Présence pure qui m’ont le plus bouleversé, ces deux chef-D’œuvres méritant à eux seuls le détour. L’Autre Visage énonce ce que l’Homme tel qu’il aurait pu devenir adresse à l’humanité d’aujourd’hui : « Chez vous le temps s’entasse – et puis se fane. / Chez nous le temps se perd – et puis fleurit. » En trente pages le poète nous offre un panoptique mystérieux et universel, où « la parole est plus que le monde, plus que le ciel et le soleil ». Quant à La Présence pure, qui constitue sans doute le texte le plus émouvant du recueil, Christian Bobin y dresse un parallèle entre un arbre et son père, gravement touché par la maladie d’Alzheimer. Cette réflexion poignante sur la mort qui nous guette tous lui permet d’isoler la joie et la bouleversante humanité qui réside en chacun de nous. Les sens et la poésie ont alors ceci de magique qu’ils nous nous conduisent à voir au-delà des apparences. Car au final « à quoi cela sert-il de demander ce qu’est la mort, puisque la porte qui s’ouvrira alors est magnifique, même si elle donne sur un terrain vague ? »

 

La Présence pure et autres textes m’ont remué au plus profond de moi comme rarement. Ce livre m’accompagnera sans doute encore longtemps, tellement sa lecture bouleverse et questionne. Dans Le baiser de marbre noir on peut lire : « Je m’allongerai sous tes paupières. Lorsque tu les baisseras pour t’endormir, je lancerai de l’or dans ton sommeil. De l’or et des songes pareils à des nuages. » (p.68). En effet, c’est bel et bien d’or et de songes pareils à des nuages que l’auteur nous gratifie au fil de ces pages.

 

 

Par Matthieu Roger

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23 septembre 2011 5 23 /09 /septembre /2011 13:22

Éditions Slatkine, 1981 (réimpression de l’édition de Paris de 1928)

 

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Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894) est considéré comme le chef de file du Parnasse, ce mouvement qui s’érigea en réaction au romantisme, en proposant une grammaire poétique alliant la rigueur de la forme à la majesté des thèmes traités. Pour reprendre l’expression de la quatrième de couverture, Leconte de Lisle nous offre avec ses Poèmes barbares une « poésie taillée dans le marbre », retrouvant la geste et le souffle des épopées antiques. Son style d’écriture convoque par certains aspects d’autres poètes de son temps On retrouve par exemple dans Les paraboles de dom Guy la verve de La légende des siècles de Victor Hugo :

 

« Or, voici que j’ai vu le monde, comme un pré

Immense, qui grouillait sous ce soleil pourpré,

Plein d’hommes portant heaume et cotte d’acier, lance,

Masse d’armes et glaive, engins de violence

Avec loques d’orgueil, bannières et pennons

Où le Diable inscrivait leur lignée et leurs noms. » (p. 338).

 

De même, les descriptions militaires sont frappées du même rythme que chez Heredia :

 

« Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,

Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches,

Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches,

Dans la mort furieuse étendus par milliers.

 

(…)

 

Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés.

Sur le sol bossué de tant de chair humaine,

Aux dernières lueurs du jour on voit à peine

Se tordre vaguement des corps entrelacés ;

 

Et là-bas, du milieu de ce massacre immense,

Dressant son cou roidi, percé de coups de feu,

Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu

Que la nuit fait courir à travers le silence. » (Le Soir d’une Bataille, p. 230)

 

Et la sensualité des ambiances orientales n’est pas sans rappeler la prose de Charles Baudelaire :

 

« Dans le verger royal où rougissent les mûres,

Sous le ciel clair qui brûle et n’a plus de couleur,

Leïlah, languissante et rose de chaleur,

Clôt ses yeux aux longs cils à l’ombre des ramures.

 

Son front ceint de rubis presse son bras charmant ;

L’ambre de son pied nu colore doucement

Le treillis emperlé de l’étroite babouche.

 

Elle rit et sommeille et songe au bien-aimé,

Telle qu’un fruit de pourpre, ardent et parfumé,

Qui rafraîchit le cœur en altérant la bouche » (Le sommeil de Leïlah, p. 161).

 

Bref, ces Poèmes barbares ont le caractère enivrant des légendes archaïques. Ne serait-ce que par leur scansion envoûtante, ils offrent au lecteur un imaginaire rempli de violence, de dieux, de nature farouche et d’hommes déchirés. Tel l’aède d’antan ressuscité par Leconte de Lisle je me tais désormais, le temps d’un dernier extrait illustrant mon propos :

 

« Et le Barde se tut. Et, sur la hauteur noire,

L’Esprit du vent poussa comme un cri de victoire ;

Et la foule agitant les haches, les penn-baz

Et les glaives, ainsi qu’à l’heure des combats,

Ivre du souvenir et toute hérissée,

Salua les splendeurs de sa gloire passée.

Et les Dieux se levaient, tordant du fond des cieux

Leurs bras géants, avec des flammes dans les yeux,

De leurs cheveux épars balayant les nuages. » (Le Massacre de Mona, p. 124).

 

 

Par Matthieu Roger

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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 14:28

Éditions Gallimard, 1996

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Les Fleurs du Mal, au même titre que Les Trophées de Heredia, sont un des plus grands chefs-d’œuvre de la poésie. Charles Baudelaire, en cherchant à extraire la beauté du mal, nous livre des vers à jamais ancrés dans la mémoire collective. Il serait trop facile de citer pour exemple L’Albatros, appris par cœur par plusieurs générations d’écoliers, tant les poèmes qui composent ce recueil s’avèrent plus éblouissants et émouvants les uns que les autres.

 

De prime abord, ce livre peut surprendre par le côté extrêmement sombre des sphères explorées. Il n’y est pas question d’amour parfait, mais de femmes fatales, de monstruosités, de mort, de putréfaction des corps et des âmes. Certains passages, tels Les métamorphoses du vampire (p. 197), convoquent même un registre des plus horrifiques :

                                                                                                                              

« Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus

Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ! »

 

 Ce n’est pas pour rien que Baudelaire fut en son temps traîné devant les tribunaux – et condamné ! – pour outrages aux bonnes mœurs, comme le fut Flaubert pour Salammbô. Mais la puissance d’écriture de l’auteur ne se complaît jamais dans l’abject ou le laid, restituant le malaise de la condition du poète grâce à un lyrisme poignant, nullement éthéré. Si la menace de la damnation sourde à chaque rime, son talent de peintre n’est jamais aussi évocateur que lorsqu’il saisit le choc des épées (Duellum p. 69) :

 

« Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre ; leurs armes

Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang.

Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes

D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant.

 

Les glaives sont brisés ! Comme notre jeunesse,

Ma chère ! Mais les dents, les ongles acérés,

Vengent bientôt l’épée et la dague traîtresse. »

 

Un talent de peintre qui lui permet également de restituer la couleur et la lumière des lieux les plus anodins :

 

« Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,

Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,

Contempler nos dîners longs et silencieux,

Répandant largement ses beaux reflets de cierge

Sur la nappe frugale et les rideaux de serge. »

 

Les Fleurs du Mal se respirent sans modération ; leur scansion envoûtante exhale un parfum capiteux qui ne peut laisser indifférent. Grisé par le rythme et la mélancolie irrépressible du spleen, le lecteur ne peut que s’incliner devant la geste poétique du poète maudit. À plusieurs reprises je me suis retrouvé à en débiter les vers intérieurement, sans chercher à en comprendre le sens, pour le pur plaisir de voir l’harmonie jaillir de leurs rimes.

  

Par Matthieu Roger

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 21:08

Éditions Gallimard, 1981

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La poésie française compte selon moi quatre chefs-d’œuvre ultimes : Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, La Légende des siècles de Victor Hugo, les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, et Les Trophées de José-Maria de Heredia. Les trois derniers cités se distinguent par une poésie au souffle épique que je trouve pour ma part éblouissant. Il n’est donc pas étonnant qu’Anny Detalle, dans sa préface des Trophées, parle ainsi de Heredia : « les années 1850 à 1870 nous laissent l’image d’un artiste hésitant entre Leconte de Lisle, son maître reconnu, Hugo, dont la phrase épique sous-tend Les Conquérants de l’Or, et Baudelaire, dont l’influence inavouée pèse plus lourdement qu’il ne voudrait l’admettre ». Membre emblématique du Parnasse, Heredia est un génie de la poésie qui rappelle Baudelaire, Hugo et Leconte de Lisle, et qui parfois même les dépasse par la beauté de son verbe.

 

Il m’est personnellement difficile de dresser une critique objective des Trophées, tant l’émotion affleure au détour des rythmiques de la rime. Ce recueil de poème est constitué d’une centaine de sonnets, ainsi de quelques formes poétiques plus libres et plus longues, telles Romancero et Les Conquérants de l’Or. Si La Légende des siècles de Victor Hugo entend traduire une histoire universelle du monde, la portée historique des Trophées est plus modeste, se découpant en sept parties intrinsèquement différentes : La Grèce et la Sicile, Rome et les Barbares, Le Moyen Âge et la Renaissance, L’Orient et les Tropiques, La Nature et le Rêve, Romancero, et Les Conquérants de l’Or. Le style de Heredia est fluide, très travaillé – il n’hésitait pas à reprendre et réécrire un poème plusieurs dizaines de fois – et se caractérise par un intérêt marqué pour les descriptions de paysages et les chutes spectaculaires. Pour exemple, citons celle de Soir de bataille (p. 102) :

 

« C’est alors qu’apparut, tout hérissé de flèches,

Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,

Sous la pourpre flottante et l’airain rutilant,

 

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,

Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare,

Sur le ciel enflammé, l’Imperator sanglant. »

 

Que c’est beau !

 

Heredia aime également confronter l’homme, qu’il soit illustre ou non, à la portée héroïque de son destin :

 

« Rougissant le ciel noir de flamboîments lugubres,

À l’horizon, brûlaient les villages Insubres ;

On entendait au loin barrir un éléphant

 

Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,

Hannibal écoutait, pensif et triomphant,

Le piétinement sourd des légions en marche. » (La Trebbia, p. 98)

 

Ou bien encore, pour reprendre l’exorde d’un des poèmes les plus connus de l’auteur (Les Conquérants, p. 135) :

 

 « Comme un vol de gerfauts hors du chantier natal,

Fatigués de porter leurs misères hautaines,

De Palos de Moguer, routiers et capitaines

Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

 

Ils allaient conquérir le fabuleux métal

Que Cipango Mûrit dans ses mines lointaines,

Et les vents alizés inclinaient leurs antennes

Aux bords mystérieux du monde Occidental. »

 

Le talent parle de lui-même. Cet ouvrage se lit avec délectation.

 

Par Matthieu Roger

 

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Rhapsodie

Mon âme et mon royaume ont pour vaisseaux les astres

Les cieux étincelants d’inexplorées contrées

Ébloui par l’aurore et ses nobles pilastres

J’embrasse le fronton du Parthénon doré

 

 

Frôlant l’insigne faîte des chênes séculaires

Je dévide mes pas le long d’un blanc chemin

À mes côtés chevauche le prince solitaire

Dont la couronne étreint les rêves de demain

 

 

Au fil de l’encre noire, ce tourbillon des mers

Ma prose peint, acerbe, les pennons désolés

D’ombrageux paladins aux fronts fiers et amers

Contemplant l’acrotère d’austères mausolées

 

 

Quiconque boit au calice des prouesses épiques

Sent résonner en lui l’antique mélopée

Du chant gracieux des muses et des gestes mythiques

Qui érigent en héros l’acier des épopées

 

 

Par Matthieu Rogercasque-hoplite