Éditions Gallimard, 1949
Grâce soit rendue à André Gide lorsqu'il publia en 1949 cette Anthologie de la poésie française. L'auteur des Nourritures terrestres (1897) et des Faux-monnayeurs (1925) relevait alors un ambitieux défi : rassembler en un seul volume les joyaux intemporels de la poésie française. Proposant une sélection issues de soixante-huit auteurs, André Gide s'en va glaner vers et rimes sur plus de sept siècles, de Ruteboeuf au XIIIe siècle jusqu'à Guillaume Apollinaire au début du XXe. Il assume dès sa préface le choix très personnel de ces centaines de poèmes connus ou méconnus, affirmant que "si le recueil que voici marque sa préférence pour ce que la poésie française offre exceptionnellement de plus musical, il ne se fera pas faute de présenter aussi les exemples les plus parfaits de maîtrise verbale et de suasion oratoire où les Français ont de tous temps excellé" (page 12). Au vu de la place qu'il leur accorde au sein de sa compilation, les quatre favoris de Gide sont clairement identifiables : Pierre de Ronsard, Victor Hugo, Charles Baudelaire et Paul Verlaine. On ne saurait lui donner tort, surtout pour Baudelaire et Hugo. On regretta seulement le peu de place faite aux femmes, si ce n'est Louise Labé et Marceline Desbordes-Valmore, ainsi que la place restreinte accordée à des génies tels que Leconte de Lisle et José-Maria de Heredia. Mais c'est là chicaner face à la richesse lyrique de cette anthologie. J'ai ainsi pu relire avec délectation les vers de Charles d'Orléans, de Gérard de Nerval, d'Alfred de Musset ou encore Théophile Gautier, et j'ai même pris un grand plaisir à découvrir certains poètes talentueux aujourd'hui tombés dans l'oubli, à l'instar de Théodore de Banville ou de Henri de Régnier. Ce dernier écrivit par exemple des "poèmes anciens et romanesques" qui ne manquent pas d'un certain panache, dont celui-ci :
Ils ont heurté les portes d'or
Du pommeau rude de leurs glaives
Et leurs lèvres étaient encor
Amères de l'embrun des grèves.
Ils entrèrent comme des rois
En la ville où la torche fume
Au trot sonnant des palefrois
Dont la crinière est une écume.
On les reçut en des palais
Et des jardins où les dallages
Sont des saphirs et des galets
Comme on en trouve sur les plages ;
On les abreuva de vin clair,
De louanges et de merveilles ;
Et l'écho grave de la mer
Bourdonnait seul à leurs oreilles.
Par Matthieu Roger