Éditions Gallimard, 1994
Leconte de Lisle, dont nous avions déjà chroniqué les Poèmes barbares sur ce site, nous offre avec ses Poèmes Antiques un autre petit bijou de la poésie française. Ici l'érudition se veut au service du style, afin d'évoquer les puissances tutélaires et les mirages de la nature. Comme le disait lui-même Leconte de Lisle, auquel Victor Hugo portait d'ailleurs une admiration sincère, "la poésie est trois fois générée : par l'intelligence, par la passion, par la rêverie". Trois états d'esprit utilisés pour ressusciter les légendes indiennes et l'époque hellénistique. L'auteur y réussit fort bien, maniant aussi bien les méandres religieux des hymnes védiques que le conte des épopées antiques.
Le poème Çunacépa offre par exemple quelques moments suspendus absolument sublimes :
"Et de ses beaux bras nus elle fit doucement
Un tiède collier d'ambre au cou de son amant,
Inquiète, cherchant à deviner sa peine,
Et posant au hasard sa bouche sur la sienne.
Lui, devant tant de grâce et d'amour hésitant,
Se taisait, le frond sombre et le coeur palpitant."
La Grèce antique n'est elle aussi pas en reste quant à la puissance d'invocation qui caractérise l'écriture de Leconte de Lisle, notamment dans Niobé :
"Dans sa robe de pourpre, immobile et songeur,
Il suit auprès des Dieux son esprit voyageur ;
Il règne, il chante, il rêve. Il est heureux et sage."
Pour reprendre notre propos liminaire, on voit bien que la rêverie, qui parcourt toute l'oeuvre de l'auteur, ne fait que répondre au désir légitime qui entraîne vers le mystérieux et l'inconnu. Avec à son service l'intelligence et la passion, cette rêverie parcourt ce recueil en long, en large et en travers, et n'a de cesse de narrer les aventures extraordinaires des héros de jadis.
Par Matthieu Roger