Éditions Actes Sud, 2016
Albert Sánchez Piñol est incontestablement l’un des auteurs de fiction les plus talentueux de ce début de XXIe siècle. La Peau froide et Pandore au Congo, respectivement publiés en 2004 et 2007, m’avaient déjà enchanté par leur style d’écriture et la qualité des univers dépeints, oscillant entre fantastique, mystérieux, aventures et burlesque. C’est donc rempli d’attentes que je me suis lancé dans le récit de la vie mouvementée de Marti Zuvirìa, dit Zuvi, jeune Espagnol débarquant en France en 1705. Et j’ai été loin d’être déçu.
L’histoire débute au moment où, par un concours de circonstances plutôt heureux, Zuvi se fait recruter par le célèbre ingénieur militaire Vauban, dans l’ombre duquel il apprend les bases de la fortification militaire et de l’art du siège. Étrange pari que celui de l’auteur d’articuler son long roman – plus de 700 pages – autour de la poliorcétique, d’autant plus que cette thématique est loin de servir uniquement à caractériser la personnalité de notre héros. Victus déploie en effet sa narration tout au long de la Guerre de succession d’Espagne (1701-1714), une chronologie du conflit étant même disponible en annexe. Et Zuvi, emporté par le flot d’événements plus improbables les unes que les autres, de voguer de sièges en combats, de combats en sièges, pour finalement atterrir en 1713 dans sa Barcelone natale, assiégée par les troupes françaises et castillanes. Ce siège mettra Zuvi face à ses propres contradictions. Sans compter qu’il durera plus d’un an, mais pour quelle issue ?
Sous-titrée Barcelone 1714, cette fiction historique se démarque de la production littéraire ambiante par les envolées désopilantes et parfois salaces de son ton. Empreint d’un profond humanisme, le récit met en perspective les trajectoires d’individus brisés et balayés par les affres de la guerre. Le paradoxe est d’observer Zuvi, aux forts penchants antimilitaristes, de débattre face à l’héritage que lui a légué Vauban et la mystique poliorcétique qui l’anime désormais envers et contre tous. Car dans Victus les ingénieurs militaires ne sont pas de simples soldats, ils sont les Ponctués, membres d’une caste d’élus condamnée à ériger pour détruire…
Par Matthieu Roger