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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 16:02

Éditions Actes Sud, 2016

 

 

Albert Sánchez Piñol est incontestablement l’un des auteurs de fiction les plus talentueux de ce début de XXIe siècle. La Peau froide et Pandore au Congo, respectivement publiés en 2004 et 2007, m’avaient déjà enchanté par leur style d’écriture et la qualité des univers dépeints, oscillant entre fantastique, mystérieux, aventures et burlesque. C’est donc rempli d’attentes que je me suis lancé dans le récit de la vie mouvementée de Marti Zuvirìa, dit Zuvi, jeune Espagnol débarquant en France en 1705. Et j’ai été loin d’être déçu.

 

L’histoire débute au moment où, par un concours de circonstances plutôt heureux, Zuvi se fait recruter par le célèbre ingénieur militaire Vauban, dans l’ombre duquel il apprend les bases de la fortification militaire et de l’art du siège. Étrange pari que celui de l’auteur d’articuler son long roman – plus de 700 pages – autour de la poliorcétique, d’autant plus que cette thématique est loin de servir uniquement à caractériser la personnalité de notre héros. Victus déploie en effet sa narration tout au long de la Guerre de succession d’Espagne (1701-1714), une chronologie du conflit étant même disponible en annexe. Et Zuvi, emporté par le flot d’événements plus improbables les unes que les autres, de voguer de sièges en combats, de combats en sièges, pour finalement atterrir en 1713 dans sa Barcelone natale, assiégée par les troupes françaises et castillanes. Ce siège mettra Zuvi face à ses propres contradictions. Sans compter qu’il durera plus d’un an, mais pour quelle issue ?

 

Sous-titrée Barcelone 1714, cette fiction historique se démarque de la production littéraire ambiante par les envolées désopilantes et parfois salaces de son ton. Empreint d’un profond humanisme, le récit met en perspective les trajectoires d’individus brisés et balayés par les affres de la guerre. Le paradoxe est d’observer Zuvi, aux forts penchants antimilitaristes, de débattre face à l’héritage que lui a légué Vauban et la mystique poliorcétique qui l’anime désormais envers et contre tous. Car dans Victus les ingénieurs militaires ne sont pas de simples soldats, ils sont les Ponctués, membres d’une caste d’élus condamnée à ériger pour détruire…

 

 

 

Par Matthieu Roger

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20 mai 2016 5 20 /05 /mai /2016 14:00

La Pastèque, 2013

 

 

 

 

Si le concept de rêve américain perdure encore dans la mémoire collective, il a aujourd’hui perdu de sa superbe. Longtemps, l'idée de prospérité et d'enrichissement pour tout un chacun a attiré ceux qui voulaient faire fortune. Seulement, bien souvent, l'espoir va de pair avec le désenchantement... Ce thème, Franz Kafka l'abordait déjà dès 1911, au sein de son premier ouvrage, inachevé, L'Amérique ou le disparu. Dans son œuvre du même nom, Réal Godbout a pris le parti d'adapter ce roman de l’écrivain pragois en bande dessinée. Il lui aura fallu sept années de travail afin de rester au plus proche du récit originel.

 

Alors qu'il ne connaît rien d'autre que sa Tchécoslovaquie, Karl Rossmann, 17 ans, est banni par ses parents suite à une sombre aventure intime avec une domestique qui se terminera par une grossesse. La situation, déshonorante pour une famille à la position bien établie, l'amène à quitter Prague. Après un long voyage sur la mer qui sépare les deux pays, il pose le pied à New York où la richesse, la réussite et la liberté l'attendent. Mais la vie a un sens de l'humour plutôt déroutant et l’entraîne sur des chemins de traverse qui ne font jamais la une. Bien qu'il ne manque ni d'entrain ni de courage, les événements vont s'acharner contre lui : malentendus, mauvaises rencontres, choix peu judicieux. Naïf et trop gentil, au fur et à mesure que l’histoire avance, Karl se révèle surtout simple témoin de sa propre destinée, sujet de toutes les injustices, subissant les aléas, incapable de se défendre ou de dire non. Un innocent dépassé, voué à errer de désillusion en désillusion.

 

L'auteur québécois nous propose une belle adaptation graphique, à la fois drôle, absurde et critique. Il nous livre un portrait à charge du rêve américain, explorant l'envers d'un décor à la vitrine idyllique : l'hébergement précaire, le chômage, l'exploitation. Tout au long de ce roman d'apprentissage inversé, menant au déclin plutôt qu'à l'accomplissement, Réal Godbout met en lumière l'écrasement permanent de l'individu par l'ensemble d'un système, sans sombrer pour autant dans le tragique. Le héros lui-même semble peu ébranlé par l'acharnement perpétuel du sort sur sa personne. Il ne s'instruit pas de ses erreurs et enchaîne les épisodes de son périple américain sans se révolter, abandonnant constamment face à l'adversité.

Pour l'illustration, l'auteur a croisé un dessin noir et blanc au trait rigoureux, offrant plus de véracité à son propos, avec un travail de recherche minutieux dans le but de contextualiser l'époque : cadre, personnages, vêtements, ambiances, etc. Il n'oublie cependant jamais de l'assaisonner d'une pointe d'humour et de satire, à l'image de la première case où il représente la statue de la Liberté brandissant une épée à la place de sa torche et arborant un regard austère et méfiant. Signe annonciateur que le séjour du jeune homme ne sera pas une panacée et premier pied de nez à tous les fantasmes véhiculés par l'Oncle Sam !

 

 

Par KanKr

 

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6 mai 2016 5 06 /05 /mai /2016 19:40

Éditions des Équateurs, 2016

 

 

 

En 2007 Jean-Paul Kauffmann se rend avec sa famille dans l’enclave russe de Kaliningrad, pour y assister aux commémorations du deux-centième anniversaire de la terrible bataille d’Eylau. Comptant 950.000 habitants et parfois appelée « petite Russie », Kaliningrad est aujourd’hui la terre russe la plus occidentale, séparée de la Russie par la Lituanie. Cette situation géographique particulière, couplée à ses origines prussiennes historiques, toujours prégnantes, et à la mémoire réactivée d’Eylau, en font cette « outre-terre » qui marqua irrémédiablement l’auteur.

 

Outre-Terre alterne les chapitres où Kauffmann décrit son périple à Kaliningrad, entre anecdotes familiales et rencontres avec d’autres férus de l’Empire, et ceux où il narre l’évolution de cette bataille qui, deux-cents ans auparavant, mit aux prises l’armée française conduite par Napoléon avec les troupes russes et prussiennes commandées par Bennigsen. Longtemps indécis, à tel point que certains historiens russes contestent encore la victoire à la Pyrrhus des Français, Eylau fut un des plus grands charniers de l’histoire militaire impériale. La gigantesque charge de cavalerie emmenée par Murat, regroupant plusieurs milliers de cavaliers, est notamment restée dans les annales. Cependant Outre-Terre n’est pas du tout le récit d’un voyage qui se voudrait hagiographique ou au service de la légende napoléonienne. L’auteur, à travers les recherches qu’il mène inlassablement sur l’ex-champ de bataille, entame en quelque sorte un voyage initiatique confrontant les traces du passé (le clocher d’une église, une plaine inchangée, une carte ancienne, etc.) au récit généré par la mémoire collective. « Pour quelles raisons un combat livré il y a deux cents ans, primitif par son choc, frontal, archaïque même, a-t-il retentit chez moi aussi profondément ? Une bataille en plus, genre stigmatisé entre tous ! La communauté nationale a cessé de vibrer à de tels souvenirs. L’événement n’a pas besoin d’être revisité ou réactualisé par l’historiographie. Pour une bonne raison : il est devenu insignifiant. N’y a-t-il pas des faits contemporains autrement plus tragiques et parlants qui mériteraient de résonner davantage chez un homme comme moi né au mitan du XXe siècle ? » (p. 153-154) Hanté par des bataillons de figures oubliées, ce n’est donc pas pour rien que cet ouvrage se trouve empli de références au Colonel Chabert de Balzac ainsi qu’au film éponyme réalisé en 1994 par Yves Angelo. « En fait on est venus ici pour Chabert. Ton histoire… C’est cela que tu cherches. » assène en guise de diagnostic son fils aîné à Kauffmann.

 

 

Par Matthieu Roger

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20 avril 2016 3 20 /04 /avril /2016 17:15

Éditions Steinkis, 2015

 

 

 

 

Sous les lignes noires et brutes se dessine le destin de deux enfants, Maryam et Vartan. Le récit débute en mai 1915, au moment où débute le génocide des Arméniens. La promesse d'un jeune Turc à son père mourant va le conduire à escorter deux jeunes Arméniens chez leur oncle afin de les mettre à l'abri. Engagement d'un vieil homme né dans un Empire Ottoman aux multiples cultures, difficile à accepter pour son jeune fils qui grandit, lui, en même temps que le mouvement Jeunes Turcs.

Mais apparaît également le problème de la mémoire, de l'appartenance à une communauté dont un Arménien ne peut se réclamer encore aujourd'hui en Turquie, et du silence pesant de ceux qui osèrent en sauver quelques-uns. L'assimilation forcée se trouve tue, cherchant à faire disparaître toute trace de culture arménienne en Turquie. Voilà qui rend encore plus difficile cette quête d'identité apparaissant comme une problématique de plus en plus importante et actuelle pour les jeunes Arméno-Turcs.

 

 

Par Thomas Roger

 

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12 avril 2016 2 12 /04 /avril /2016 15:22

Scutella Editions, 2016

 

 

 

Balestra, esquive, estoc, feinte, fouetté, garde, parade, etc., le glossaire des coups d'escrime est aussi divers que celui des pas de danse. Tout est dans la beauté du geste ! De fait, rien d'étonnant à ce que Dan Christensen ait adopté, pour protagoniste principal, un talentueux escrimeur reconverti dans la mise en scène de combats d'épées pour le cinéma.

 

Intitulé Riposte, le récit, comme son titre l'indique, se déroule en deux temps : une parade suivie d'une offensive. L'homme, traqué par ses souvenirs, va en devenir le chasseur ! Luca Di Serafino est célèbre dans le monde du maniement du fleuret, mais c'est également un personnage antipathique, arrogant et prétentieux, à l'ombrageux passé, sur qui court une obscure rumeur d'assassinat et de duel. Malheureusement, les démons qui nous hantent finissent toujours par refaire surface et Luca Di Serafino ne fait pas exception. À la sortie d'un cocktail au domicile du producteur du film sur lequel il officie, il est agressé par trois individus et échoue à l’hôpital. De retour chez lui, il ne peut que constater que quelqu'un lui en veut. Son appartement a été forcé et fouillé en son absence et un pistolet lui a été subtilisé.

Dès lors, les choses s’enchaînent, alimentées par les suspicions et la soif de vengeance, rythmées par l'honneur, les mensonges et les duels. Les secrets que le maître d'armes tentait de dissimuler se dévoilent au fur et à mesure que l'intrigue évolue. Les flashbacks, ponctuant l’histoire, nous révélent ce qui l'a poussé à quitter Venise, où son grand-père lui apprenait l'art du maniement de la rapière au sein du dojo familial. Une visite impromptue, une proposition de rachat de la salle d’entraînement, un refus catégorique, une promesse de représailles... Voilà les ingrédients d'un thriller atypique et intéressant !

 

Digne des vieux films de capes et d'épées, l'auteur rend ici un bel hommage à l'escrime dans une aventure pleine d'un sombre romantisme ! Côté graphique, son crayon est aussi leste que la lame de son personnage. Le trait sobre, en nuances de gris, et les lignes claires et dynamiques confèrent au dessin une fluidité propre aux gestes des épéistes et un rythme quasiment chorégraphique. Si tu ne viens pas à Scutella, Scutella viendra à toi !

 

Par KanKr

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8 mars 2016 2 08 /03 /mars /2016 15:59

Éditions de la Pastèque, 2016

 

 

 

Lorsqu'ils ne restent qu'au fond de la mémoire, les souvenirs sont indéniablement voués à l'oubli et condamnés, un jour, à disparaître. Dans La petite patrie, adaptation du roman autobiographique du même nom de Claude Jasmin, Julie Rocheleau et Normand Grégoire s’intéressent à ce regard éphémère sur un monde qu'on ne maîtrise pas. L'histoire de Claude Jasmin, scénarisée par Normand Grégoire, est celle d'un adulte qui s'efforce d'évoquer son enfance à l'orée des années 40.

Le décor est rapidement planté : Montréal, quartier Rosemont (renommé La Petite-Patrie suite au succès du livre) en 1939. Un groupe d'enfants se tire dessus pour de faux alors qu'au-delà de l'Atlantique débute une autre bataille, une vraie. Si l'empreinte de la guerre, la religion, la mort ou encore l'amour est présente, elle n'a que peu d'impact sur eux. Ils sont aussi prompts à braver les différentes étapes de la vie qu'à les oublier et passer à autre chose. Au milieu de cette espiègle petite troupe, Tit-Claude est le profil type du bambin insouciant et innocent évoluant dans un monde parallèle à celui des grands. Il n'a que huit ans et déjà sa grand-mère le destine à devenir le premier pape canadien-français. Lui est amoureux, ne pense qu'à s'amuser aux dépens des habitants de la ville québécoise, et coule des jours heureux aux côtés de celle pour qui son cœur bat et de ses compagnons de jeu. Autour d'eux, la population change et la cité se transforme pendant qu'ils s'y adaptent inconsciemment !

 

Ces chroniques d’un quartier populaire montréalais, construites d'une succession d'anecdotes qui n'ont pas forcément de lien entre elles, offrent au lecteur une nostalgie de l'enfance à laquelle il peut aisément s'identifier. On a beau essayer de se rappeler de tout, les souvenirs ne reviennent que par bribes et l'emploi d'ellipses narratives appuie cette idée tout au long du récit. C'est une immersion dans l'âge tendre, monde des doux rêves, qui constitue pour l'auteur une ode à cette époque révolue. L'histoire qu'il nous conte est d'une tendresse cruelle par les sujets qu'il évoque, mais surtout parce qu'elle est définitivement passée. À travers son regard d'enfant de huit ans, qui nous touche par son authenticité et sa simplicité, il fait appel à tous les sens du lecteur.

Derrière sa palette, Julie Rocheleau nous propose un dessin magnifique et très expressif, qui nous livre ses couleurs dans une quadrichromie maîtrisée et originale. Elle esquisse ces tranches d'existence et transcende le scénario par le biais de ses personnages arrondis, attachants et pleins de vie. Si le roman originel a connu un vif succès, cette adaptation graphique le mérite tout autant.

 

 

Par KanKr

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10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 15:54

Éditions Viviane Hamy, 2012

 

 

 

 

Voilà un ouvrage inclassable ! Roman historique lorgnant vers le récit d’aventures et la quête initiatique, même si le héros n’est plus de prime jeunesse, Le Prince et le Moine se distingue des productions littéraires habituelles du genre. L’action se situe à la toute fin du Haut Moyen Âge, en l’an 999, une période rarement traitée par les écrivains. À la croisée des chemins entre lointaines réminiscences de l’ancien empire romain, sédentarisation des plus puissants peuples barbares, affirmation du Saint-Empire romain germanique et problématiques de survie de l’empire byzantin, cette « Europe » de l’an mille est secouée par de profondes mutations démographiques et politiques qui ne cessent de boulervser sa géographie.

C’est dans ce contexte instable que Stephanus de Pannonie, moine de l’abbaye de Saint-Gall, se retrouve expédié par son supérieur au fin fond de l’Europe centrale, sur les terres des redoutés Magyars, afin d’assurer une étrange mission diplomatique. Comme vous pouvez vous en douter tout ne se déroulera pas comme prévu, et notre héros va se trouver confronté à une civilisation dont il ignore tout mais qui le renverra en même temps au mystère de ses propres origines. Se pourrait-il qu’il soit le Künde, ce chef spirituel ancestral que certaines tribus et chefs de guerre appellent de leurs vœux ? Mais l’homme est un loup pour l’homme, surtout en ces contrées où les légendes s’imbriquent constamment aux soifs de pouvoir et de conquêtes.

 

J’ai eu un peu de mal à rentrer dans le récit, l’auteur ayant quelques difficultés à planter ses personnages au cours des trente première pages. Cependant, une fois passé ce départ légèrement poussif, le lecteur est irrémédiablement embarqué vers l’orient aux côtés de Stephanus de Pannonie. Robert Hàsz n’a pas son pareil pour mettre en scène des personnages déroutants, aux multiples facettes, qui semblent la plupart du temps désemparés face à leur destin. À la fois miroir des légendes magyares et chevauchée inexorable vers l’inconnu, Le Prince et le Moine nous transporte dans une ambiance fascinante, nostalgique, où les contes s’enchevêtrent aux ambitions des puissants.

 

 

 

 

Par Matthieu Roger

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9 février 2016 2 09 /02 /février /2016 14:10

Denoël Graphic, 2015

 

 

 

Quand Rudolf Ditzen, plus connu sous le pseudonyme d'Hans Fallada, se fond dans son homologue de papier Erwin Sommer, cela donne un récit qui ne manque pas d'intérêt. C'est cette rencontre que nous livre Jakob Hinrichs dans Hans Fallada – Vie et mort du buveur. Deux destinées tempétueuses et tourmentées qui se répondent continuellement tout au long de l'ouvrage pour finalement n'en raconter qu'une : celle de Rudolf Ditzen.

Erwin Sommer est le propriétaire d’un commerce prenant la mauvaise courbe économique. Perturbé de cacher ses déboires financiers à sa femme Magda, il commence à s’enivrer quotidiennement. Sa pratique du goulot devient pathologique jusqu'à ce que la bouteille soit son unique compagne et, plus tard, la morphine son amante, au détriment de toute vie sociale et familiale. Ses péripéties éthyliques le mèneront de l'asile à la prison, où il passera une grande partie de ses jours, notamment accusé de tentative de meurtre sur son épouse. Suite à une litanie de cauchemars, produits des crises de manque, il trouvera sa rédemption dans l'écriture. Elle sera une bouée de sauvetage à ses souffrances psychologiques, à défaut de ses addictions dont il restera dépendant jusqu'à sa mort en 1947.

Cette construction originale, alternant des passages de l'existence des deux protagonistes, permet d'accentuer la perte de contrôle de ce qui est réel et de ce qui ne l'est plus. En oscillant entre la vie d'Hans Fallada et celle de son fictif alter ego, le lecteur plonge au cœur de la création d'un déclin social et finit par errer dans les méandres tortueux de l'esprit. Tout tourne au trouble. Des mésaventures vécues par Hans et Erwin à la période dans laquelle ils évoluent, empreinte de la montée du nazisme, jusqu'au dessin et aux tons psychédéliques entraînant dans les digressions hallucinatoires, liées à l’absorption abondante d’alcool et de stupéfiants, des deux personnages. Le trait nébuleux, aux teintes expressionnistes riches en couleurs, vient ajouter une touche particulière à l’ouvrage en le rendant extrêmement immersif. Ce mélange, méticuleusement renseigné aussi bien concernant Rudolf Ditzen que son œuvre ou encore ses déviances, est une réussite incontestable.

Voilà un ovni graphique dont la lecture devient sans doute la plus grande addiction pour celui qui l'a entre les mains. Il y a de la poésie dans cette déchéance !

 

 

 

Par KanKr

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1 février 2016 1 01 /02 /février /2016 10:26

Le Cercle de Bibliophilie, 1963

 

 

 

 

 

Han d’Islande est une oeuvre importante dans le parcours du jeune Victor Hugo, celui-ci l’ayant publié en 1823 à seulement 21 ans. Rien qu’à la lecture de ce roman d’intrigues et d’aventures, on se rend compte de l’extrême précocité stylistique du futur génie de la littérature. Hugo avait d’ailleurs déjà écrit et publié Bug-Jargal, son tout premier roman, cinq ans auparavant, à 16 ans ! Avec Han d’Islande il nous livre un récit qui emprunte beaucoup au genre théâtral, puisque la narration est basée sur une succession ininterrompue de rebondissements plus ou moins attendus, ainsi que sur un écheveau complexe de relations entre les protagonistes. Hugo était très ambitieux quant à l’écriture de ce livre, songeant au départ à une composition en quatre volumes qui aurait conféré à cette histoire la portée et la densité d’une véritable saga. Bien lui en prit par la suite de ramasser son propos afin de resserrer la narration autour d’un axe principal : un sombre complot visant à abattre définitivement Schumacker, ancien chancelier du Royaume de Norvège emprisonné dans le donjon de Munckholm.

 

L’histoire de Han d’Islande prend place dans la Norvège de la toute fin du XVIIe siècle. Comme nous l’avons déjà dit il y est question de complots politiques, mais aussi de rébellion populaire, de quête aventureuse, de légendes, d’honneur, d’un brigand à l’aura maléfique et surhumaine, de trahison et d’amour. C’est cette thématique amoureuse qui permet à Hugo de nous livrer ses plus beaux moments de prose, lorsque le romantique se mêle à la noblesse d’âme des deux amants, qui ne sont autres qu'Ordener Guldenlew, fils du vice-roi, et Éthel Schumacker, fille du détenu disgracié. Je cite : « Ordener s'inclina devant cet ange. Son âme sentait trop pour que sa bouche pût parler. Ils restèrent quelque temps sur le coeur l'un de l'autre. Au moment de la quitter, peut-être pour jamais, Ordener jouissait, avec un triste ravissement, du bonheur de tenir une fois encore toute son Éthel entre ses bras. Enfin, déposant un chaste et long baiser sur le front décoloré de la douce jeune fille, il s'élança violemment sous la voûte obscure de l'escalier en spirale, qui lui apporta un moment après le mot si lugubre et si doux : Adieu ! »

 

Han d’Islande, malgré quelques procédés scénaristiques trop prévisibles, est un roman historique de très bonne facture. Bien moins connu que d’autres chefs-d’oeuvre tels que Notre-Dame de Paris ou Les Misérables, il mérite néanmoins que le lecteur s’y attarde et parcoure un bout de chemin sur les côtes désolées de Trondheim.

 

 

Par Matthieu Roger

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26 janvier 2016 2 26 /01 /janvier /2016 11:37

Éditions Julliard, 2015

 

 

 

La réputation de Denis Robert n'est plus à faire. Journaliste d'investigation, il s'est notamment démarqué lors de la très médiatique affaire Clearstream par son obstination et son étude consciencieuse des faits. Dans Mohicans, sa dernière enquête, il nous livre sa version de l'histoire du journal le plus polémique de France. Un portrait à charge contre Philippe Val, Richard Malka, Cabu, et dans une moindre mesure ceux qui ont repris la marque Charlie Hebdo depuis 1992. Son ouvrage vient contrebalancer les prétendues vérités défendues par Philippe Val dans son livre C’était Charlie. Denis Robert retrace le parcours chaotique d'un journal à travers Hara-Kiri Mensuel, Hara-Kiri Hebdo, la Gueule Ouverte, Charlie Mensuel et Charlie Hebdo, et ce jusqu’en mai 2015, après les tragiques événements du 7 janvier.

Selon lui, il y a deux périodes. La première, de la création à la disparition d'Hara-Kiri en 1982, est la plus faste. Celle où l'humour, l'insolence, la subversion ont amusé, choqué ou ouvert les yeux de toute une génération de lecteurs et libéré la voie à une nouvelle façon de faire du journalisme. La seconde, de 1992 à nos jours, qui verra la dilapidation de l'héritage et le remodelage de l'hebdomadaire. L'humour bête et méchant est remplacé par des prises de position politiques, le titre est volé à Cavanna qui est progressivement mis au rebut, les contradicteurs sont évincés, etc. Le tout dans un but d'enrichissement personnel et d'assouvissement d'une soif de pouvoir.

 

Comme à son habitude, l'auteur s’appuie sur des sources précises, des recherches minutieuses et de nombreux entretiens pour expliquer le travail de sape d'un concept par le fossoyeur Val. Néanmoins, il rend également au fil des pages un bel hommage à ceux qu'il appelle les Mohicans : Choron, Delfeil de Ton, Reiser, Gébé, Siné, Fournier, etc., mais surtout Cavanna, le boss, plume impétueuse autant que talentueuse. Des kamikazes qui ne prenaient rien au sérieux et pour qui tout était prétexte au rire ! Il conte leur histoire, aussi belle qu'éphémère. Une aventure unique qui sent le sexe, l'alcool et la liberté !

 

 

Par KanKr

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Rhapsodie

Mon âme et mon royaume ont pour vaisseaux les astres

Les cieux étincelants d’inexplorées contrées

Ébloui par l’aurore et ses nobles pilastres

J’embrasse le fronton du Parthénon doré

 

 

Frôlant l’insigne faîte des chênes séculaires

Je dévide mes pas le long d’un blanc chemin

À mes côtés chevauche le prince solitaire

Dont la couronne étreint les rêves de demain

 

 

Au fil de l’encre noire, ce tourbillon des mers

Ma prose peint, acerbe, les pennons désolés

D’ombrageux paladins aux fronts fiers et amers

Contemplant l’acrotère d’austères mausolées

 

 

Quiconque boit au calice des prouesses épiques

Sent résonner en lui l’antique mélopée

Du chant gracieux des muses et des gestes mythiques

Qui érigent en héros l’acier des épopées

 

 

Par Matthieu Rogercasque-hoplite