Éditions Perrin, 2004
Comment avons-nous pu servir un régime aussi horrible que le nazisme ? Telle est en substance la question à laquelle tente de répondre August von Kageneck tout au long d’Examen de conscience. Officier de la Whermacht à 17 ans, en tant que lieutenant de Panzer, il prit part à l’opération Barbarossa et l’invasion de la Russie en 1941. Issu d’une famille de la vieille noblesse allemande, il réinterroge l’histoire et tente d’évaluer la part de responsabilité du peuple allemand dans la mise en branle de la machine de guerre nazie. D’après lui, l’immobilisme des classes sociales conservatrices a joué un grand rôle dans l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler : « J’accuse en effet l’aristocratie allemande et la grande bourgeoisie d’avoir souhaité ou fini par soutenir l’arrivée du national-socialisme en Allemagne » (p. 166). Une prise de position qui fait écho à la citation du philosophe Edmund Burke : « le mal naît de l’absence du bien ».
Mais le plus grave, selon l’auteur, c’est que la Wehrmacht, théoriquement garante de l’indépendance de l’armée envers le pouvoir politique, a au fur et à mesure tacitement accepté les thèses antisémites nazies. Sur le front de l’est, nombreux furent ceux qui furent témoin de massacres, sans réagir, Et von Kageneck de citer la conclusion édifiante d’un jeune médecin militaire : « Je ne doute pas que la révolte devant ces faits est assez générale dans l’armée. Chacun estime odieux que certains profitent de l’héroïsme des soldats du front, pour poursuivre leurs sinistres buts. Mais hélas, ce ne fut pas la flamme de l’humanitas qui jaillit du fond de nos cœurs. Ce poison d’antisémitisme avait déjà fait œuvre de destruction. La corruption morale après sept ans de règne des " autres " avait déjà fait son chemin, même chez ceux qui l’avaient violemment nié dans leur fort intérieur. » (p. 160-161). Adhérant au militarisme outrancier qui régnait en Allemagne, les généraux et le haut commandement de la Wehrmacht cautionnèrent bon gré mal gré les exterminations ethniques qui mirent à feu et à sang l’Europe de l’est. Seuls quelques individus isolés, à l’instar du Generaloberst von Blaskowitz, osèrent élever publiquement la voix, parlant du « poids moral insupportable par la troupe qui assiste à des crimes qu’elle ne comprend pas et qu’elle abhorre, et qui sont d’autant plus grave à ses yeux qu’ils sont perpétrés par des gens portant comme elle, l’uniforme vert-de-gris auquel la notion d’honneur est attachée » (p. 142).
De fait, August von Kageneck démystifie l’idée d’une Wehrmacht n’ayant jamais directement participé aux épurations raciales. Mais il l’avoue, il ne s’est jamais lui-même révolté contre ces exactions, grisé par la gloire militaire, prisonnier de l’esprit de corps d’une armée qui finit par lutter contre une défaite que tous savaient pourtant inéluctable. Ainsi se confesse-t-il : « L’immense majorité des combattants de la Russie n’a pas laissé raisonner la voix de la conscience dans son cœur. J’en fus. » (p. 114). Examen de conscience est la tentative courageuse et sincère d’un homme confronté à son propre naufrage moral en temps de guerre. Car un soldat sans conscience n’est que ruine de l’âme.
Par Matthieu Roger