Éditions Gallimard, 2012
Lorsqu’on lit Jean-Christophe Rufin, on se dit que la littérature française a encore de beaux jours devant elle. Son style d’écriture romanesque et vivant dépeint ici la vie aventureuse de Jacques Cœur avec un allant des plus communicatifs. Le grand Cœur est bien plus qu’une simple biographie romancée du Grand Argentier de Charles VII, il s’agit d’une plongée dans une époque charnière de l’histoire de France, entre Moyen Âge et Renaissance, entre pouvoir féodal déclinant et renforcement lent mais inexorable de l’influence économique et politique de la bourgeoisie industrieuse. Homme ayant côtoyé les personnages les plus puissants de son temps, le Jacques Cœur que nous conte ici Jean-Christophe Rufin s’avère attachant, continuellement tiraillé entre ses aspirations profondément humanistes et ses ambitions réticulaires. Fils de petit bourgeois devenu un des personnages les plus influents d’Europe, son activité incessante le place à la croisée des chemins de plusieurs civilisations désormais connectées. Un grand basculement s’opère en effet parallèlement à la vie du Berruyer : « cent ans de guerre avec l’Angleterre prennent fin ; la papauté se réunifie ; la longue survie de l’Empire romain s’achève avec la chute de Byzance ; l’islam s’installe comme le vis-à-vis de la chrétienté » (p. 497). Et désormais le négoce, ainsi que le pouvoir de l’argent qu’il véhicule, supplante peu à peu la prééminence d’une chevalerie décimée aux croisades. L’auteur s’attarde avec talent à peindre la psychologie de son protagoniste, à nous faire partager ses moindres doutes ou espoirs. Avec en toile de fond la loyauté indéfectible mais lucide de celui-ci envers les deux personnes qui marquèrent le plus sa destinée : son roi, Charles VII, et Agnès Sorel, la femme qu’il aima par-dessus toutes. La fiction dépasse alors l’histoire ; ce duo amoureux, imaginé par l’auteur, révèle une soif de liberté que les hautes sphères du pouvoir contraignent à jamais.
Rédigée à la première personne, la narration enlevée de Jean-Christophe Rufin fait mouche à chacune des cinq-cents pages de ce livre. Au même titre que Rouge Brésil, primé en 2001, Le grand Cœur aurait bien pu une nouvelle fois valoir à l’Académicien le fameux prix Goncourt. Car ce très beau roman se déguste sans retenue. Ne reste plus qu’à vous rendre rapidement chez votre libraire, pour vous embarquer sur les galées de Méditerranée aux côtés de Jacques Cœur.
Par Matthieu Roger