In Machiavel – Œuvres complètes, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1952
La vie de Castruccio Castracani da Luccase se lit comme un roman. Elle raconte la passionnante destinée de Castruccio Castracani, condottiere qui fut seigneur de la ville de Lucques de 1316 à 1328. Non content de raconter la vie mouvementée de ce grand capitaine italien, Nicolas Machiavel mêle la fiction aux faits historiques pour en dresser un véritable panégyrique, le plaçant même à la hauteur de Philippe de Macédoine et de Scipion l’Africain. « Il vécut quarante-cinq ans, et fit voir une grandeur d’âme digne d’un souverain, dans toutes les périodes de sa vie. (…) Comparable en sa vie à Philippe de Macédoine, père d’Alexandre le Grand, et à Scipion, ce célèbre enfant de Rome, il mourut à l’âge de ces deux héros, et sans doute il les aurait surpassé tous deux si, au lieu de naître à Lucques, il eût eu pour patrie la macédoine ou Rome. » (p. 940). L’histoire de Castruccio Castrani nous ramène au cœur des complots et conflits armés qui mettaient alors aux prises les différentes principautés italiennes. Avec en toile de fond la vielle opposition entre Gibelins, Guelfes et leurs partisans respectifs pour le contrôle de la Toscane. Ce qui stupéfie chez Castruccio Castracani, c’est avant tout sa capacité, quel que soit le contexte, à adopter les meilleures dispositions militaires. C’est comme si, au vu des succès et des victoires qui s’accumulent dans son escarcelle, le condottiere lucquois ne faisait simplement qu’appliquer les maximes livrées par Sun Tse dans L’Art de la guerre. Ruses de guerre, division des ennemis, utilisation optimale de la topographie, répartition experte de ses troupes, ténacité dans l’adversité, tout y passe !
Mais l’auteur cherche ici à forger une légende, en écrivant une vie exemplaire à la manière de Plutarque et Pétrarque. Comme le rappelle Edmond Barrincou dans ses annotations, Machiavel n’hésite ainsi pas à inventer tel ou tel personnage, à modifier la filiation de son héros, ou encore à résumer deux batailles en une seule (en l’occurrence la bataille de Serevalle, qui « mixe » en fait celles d’Altopascio et Montecarlo). En seulement trente pages, l’historien des Histoires florentines ou du Discours sur la première décade de Tite-Live démontre qu'il fut aussi un remarquable conteur de hauts faits.
Par Matthieu Roger