Éditions Perrin, 2010 (1ère publication en 1987)
L’historien britannique John Keegan est une figure contemporaine incontournable de l’étude des conflits. Fait chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique par Elizabeth II en 2000, on lui doit de nombreux ouvrages d’histoire militaire, qui témoignent de champs d’études extrêmement diversifiés : Barbarossa: Invasion of Russia, 1941 (1971), The face of battle: a study of Agincourt, Waterloo and the Somme (1976), The Second World War (1990), Fields of Battle: The Wars for North America (1997), The First Wolrd War (1999), The Iraq War (2004), entres autres… Aujourd’hui, il est toujours correspondant à la Défense au Daily Telegraph.
Dans L’art du commandement, il traite comme il le dit lui-même « non de l’art de la guerre à travers les âges, mais des techniques et des attitudes mentales qu’impliquent le rôle du chef et l’exercice du commandement militaire ». Pour ce faire, il choisit ici de se concentrer sur quatre stratèges de guerre qui opérèrent à des époques bien distinctes : Alexandre le Grand, le duc de Wellington, Ulysses Simpson Grant, et Adolf Hitler. Son objet n’est pas de détailler les différentes campagnes que chacun a menées, même si celles-ci sont largement abordées, mais de présenter les caractéristiques et capacités particulières de leur mode de commandement. Il démontre qu’un grand chef de guerre, au-delà de ses qualités tactiques et opérationnelles, se doit de posséder des facultés mentales extraordinaires, au sens premier du terme. Cette analyse psychologique de l’attitude et du charisme du général en chef lui permet de cerner des modes opératoires inédits. Si Alexandre représente l’âge héroïque par excellence, toujours placé en première ligne des combats, il considère à l’inverse que Wellington incarne l’antihéros raisonné, ce qui ne l’empêchait pas de se placer lui aussi parfois au plus proche des combats. Grant, qui symbolise la proximité avec ses hommes et une capacité d’adaptation phénoménale, annonce déjà la mise en retrait physique du commandement en chef par rapport au feu de la bataille. Et si Hitler opérait au loin, dans ses différents QG d’Europe centrale et orientale, sa démesure insensée ne l’a pas empêché d’abattre sur le continent les affres du totalitarisme et de la guerre totale. Pour autant, l’auteur revient également sur d’autres périodes et d’autres chefs de guerre, ce qui lui permet de mettre en perspective leurs différentes stratégies. De fait, on peut selon lui résumer l’art du commandement à cinq impératifs essentiels : l’impératif d’affinité (identification de l’armée à son chef), l’impératif de sanction (l’autorité incontestable du commandant), l’impératif d’exemple (la prise de risque comme justification de son rang), l’impératif d’éloquence (le discours pour galvaniser les troupes), et enfin l’impératif d’action (la capacité décisive à décrocher la victoire).
L’art du commandement, de par l’étendue de ses champs d’explorations – le commandement nucléaire est même traité en fin d’ouvrage – et les nombreuses questions polémologiques qu’il soulève, est un essai particulièrement bien renseigné, dont on aurait tort de se priver.
Par Matthieu ROGER