Bimensuel édité par Mondadori France
L’article le plus intéressant de ce huitième numéro de Guerres & Histoire est sans nul doute celui que Roger Crowley consacre à l’Arsenal de Venise (p. 76-81). Fondé en bordure de la Lagune de Venise en 1104 par le doge Ordelafo, celui-ci subit en 1303, 1473, 1564 et 1810 quatre phases d’agrandissement qui en feront un gigantesque complexe industriel, peut-être « la première usine du monde » pour reprendre le titre de l’article. Sur un modèle qui n’a rien à envier à l’organisation du travail fordiste, les successeurs d’Ordelafo réussiront à établir une chaîne continue de production de galères, en s’appuyant la standardisation des matériaux, la spécialisation des tâches de travail, des chaînes d’assemblage efficientes et un stockage des ressources référencé avec précision. Ainsi l’arsenal devient pendant plusieurs siècles une véritable usine forteresse dédiée à la production de navires de guerre, et par extension le principal complexe national de construction et de logistique militaires de la Sérénissime. Au cœur du Moyen Âge ce sont 16.000 hommes qui y travaillent, dont 2000 ouvriers hautement qualifiés, les arsenalotti. Comme l’indique Roger Crowley, « grâce à son arsenal, Venise dispose en permanence, du XIVe au XVe siècle, d’une flotte de galères de 10 unités en temps de paix, de 25 à 30 en temps de guerre ». De quoi s’opposer aux velléités turques, qui se font de plus en plus pressantes à partir du XVe siècle. Si victoire de Lépante (1571) il y eut, c’est notamment parce que la République de Venise pu fournir une centaine de galère et quelques galéasses à la flotte hispano-italienne commandée par don Juan d’Autriche.
Par ailleurs, Yacha Maclasha revient lors d’une interview de Lennart Samuelson sur l’ouvrage récemment publié par celui-ci et intitulé Tankograd, The Formation of a Soviet Company Town : Cheliabinsk 1900s-1950s (Palgrave Macmillan, 2011). Le professeur au Stockholm Institute of Transition Economics y présente le fonctionnement de « Tankograd », vaste tripole soviétique regroupant Tcheliabinsk, Sverdlovk et Nijni Taguil, qui constitua le plus grand site de production de chars non seulement de l’URSS mais aussi du monde. Plusieurs siècles après l’arsenal de Venise, « à elles seuls, les trois villes ont construit 18.000 chars lourds ou canons autopropulsés pendant la Seconde guerre mondiale sur un total de 97.700 ». Ou quand la concentration industrielle transcende l’effort de guerre…
Par Matthieu ROGER