Éditions Steidl, 2013
Intrigués par les ruines et l'abandon de patrimoines humains, Yves Marchand et Romain Meffre laissent cette fois traîner leurs appareils photo sur la côte sud-ouest du Japon, à quinze kilomètres de Nagasaki. Après Détroit, ils investissent Hashima, une île-cité qui s'est développée au début du XXe siècle autour d'un gisement de houille. Cet infime sosie de l'archipel japonais, surnommé Gunkanjima (île cuirassée) pour son aspect de puissant navire de guerre, se traverse aisément le temps d'une cigarette. Son habit de béton et les hautes murailles qui l'encerclent lui donnent, à tort, l'apparence d'un Alcatraz nippon. Bien que concentrée, architecturalement et démographiquement (5 259 habitants en 1929 pour une surface de 480 mètres sur 160), la vie y était plus agréable qu'ailleurs. On y trouvait tous les services et équipements importants (école, cinéma, gymnase, hôpital, dentiste, restaurant, magasins, etc.). Sa terre infertile, l'absence de végétation et son climat hostile n'ont pas empêché trois générations de Japonais de s'y succéder. Son poumon de charbon, découvert en pleine révolution industrielle, marquera sa prospérité, notamment pour subvenir à la forte demande engendrée par la guerre.
Mitsubitchi, conscient de son fort potentiel, acheta l'île et la développa pour en faire une institution de l’exploitation du diamant noir. La cité minière, résidence des employés, a grossi autour du puits dont des tunnels descendaient sous le niveau de la mer, là où se trouvaient les bancs de charbon. L'île atteignit ainsi la plus forte densité de population connue au monde, au point d'utiliser les déchets des forages pour étendre sa surface au sol.
Gunkanjima, aujourd’hui désertée de ses habitants et de toute activité économique, est devenue un vestige de l'ère industrielle, mais aussi un symbole des sociétés modernes fondées sur l'éphémère et l'obsolescence programmée. Désormais récif fantôme à l'architecture froide et austère, expression d'une idéologie et d'un dévouement à la production, depuis le début de l'année 1974 et l'avènement du pétrole et du nucléaire, elle a été livrée aux intempéries et aux vents marins. Ce sont ce délabrement, ces ruines esthétiques, ces empreintes laissées par l'histoire, à la fois sinistres et poétiques, que sont venus saisir les deux auteurs. À travers cet ouvrage, ils nous livrent une vision inquiétante de l'avenir de toute entreprise humaine, abandonnée à son propre silence, sa décomposition et sa futilité.
Par KanKr