Éditions Ère, 2011
Fidèle à lui-même, le philosophe Frédéric Neyrat décortique les faisceaux de signification des concepts et notions les plus usités. Au-delà des clichés et des idées formulées à l’emporte-pièce, il s’attaque dans cet ouvrage au terme de « terrorisme » pour démontrer que ce mot est loin d’englober une acception unique et figée.
L’auteur met tout d’abord en garde contre les fictions dont on recouvre généralement les actes dits terroristes. Aborder le concept de terrorisme procède d’un abandon de nos pulsions les plus paranoïaques. Car comme il le dit lui-même, « à partir du moment où l’on s’interroge sur les intentions des individus, on peut vraiment s’imaginer tout et n’importe quoi, et l’on peut aussi chercher à prévenir, à empêcher l’acte dans la mesure où l’on serait certain d’avoir identifié une volonté terroriste » (p. 17). Débutant son analyse, Frédéric Neyrat convoque Gérard Chaliand – l’entendement transhistorique du terrorisme, dans une perspective d’étude des moyens d’une stratégie militaire donnée – ainsi que Jean Baudrillard et sa perception à la fois symbolique et virale du process terroriste. Cela lui permet d’engager sa propre thèse, selon laquelle le terrorisme se retrouve en fait au croisement de la souveraineté et de la globalisation. Après avoir démystifié le lien présumé historique entre la Terreur jacobine, il emploie moult concepts philosophiques pour prouver, de manière plutôt convaincante, que la volonté terroriste, en substance, répond à une soif de souveraineté. Et cela, quel que soit l’ennemi déclaré.
Ce qui est intéressant, chez Frédéric Neyrat, c’est qu’il ne fait à jamais l’économie d’une mise en perspective historique des concepts philosophiques. Interrogeant les différentes portées cognitives du terme terrorisme, il montre que celui-ci porte en lui, à des degrés moindres selon ses différents agents, une dimension symbolique, une dimension politique révolutionnaire, une dimension religieuse, et une dimension globale. Phénomène – ou mode opératoire tactique dirait Chaliand – qui tend à l’illimitation, le terrorisme n’en a donc pas fini de questionner le XXIe siècle. S’il n’est pas possible d’en donner une définition univoque, je serais tenté, à titre personnel, d’avancer l’idée selon laquelle le terroriste, en fin de compte, serait peut-être celui qui se place en marge du consensus. Et lorsque je dis en marge du consensus, il faut comprendre en marge du pouvoir politique (identification à une minorité), contre un ennemi clairement désigné (négation du « con », de l’avec), pour un acte qui fait sens (dyade objectif politique / nécessité de rendre audible un message politique).
Par Matthieu Roger