Éditions Perrin, 2012
Encore un livre sur Jeanne d’Arc ? Tout n’a-t-il pas déjà été écrit sur cette figure tutélaire de la France ? Le sous-titre nous éclaire d’emblée : « Vérités et légendes ». Car l’auteure, Colette Beaune, s’est fait piéger : invitée en tant que médiéviste avec trois autres historiens par la chaîne de TV Arte, ses propos furent parfois défigurés au montage. Elle rétablit ici la vérité historique, et la met en perspective en travaillant avec méthode et rigueur. Mais rigueur ne veut pas dire ennui. Colette Beaune projette en effet notre siècle, friand de réalités virtuelles, de nanotechnologies, d’éphémère et d’écrans plasma, vers une réalité de chair et de sang. Une France, oui, mais laquelle ? La guerre, pour qui et pourquoi ? Des illusions, des voix, une supercherie ? Des manipulations, un complot, quelles vérités ? Jeanne, putain ou sorcière ? Une héroïne, une martyre, une sainte ?
C'est là où l’auteure excelle. Avec autorité, elle repositionne Jeanne à l’exacte place qu’elle occupait dans son temps. Entre Armagnacs et Bourguignons, c’est son âme qui compte le plus pour elle ! On a des traces, des documents, les minutes de ses différents procès. Partisans et ennemis témoignent. Jeanne, elle-même, s’exprime, son langage est compréhensible. Elle maintient juges et bourreaux à distance avec une force et une paix qui impressionnent. Ses réponses sont justes, elle ne triche pas, elle n’élude rien, elle ne caricature ni n’injurie personne. Elle déjoue les pièges tendus avec discernement.
Alors : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente… », comme le suggérait le poète Georges Brassens ? Quand on n’est ni folle ni exaltée, ni orgueilleuse ni vindicative, mais reniée et désarmée, bafouée, pourquoi accepter le bûcher ? Pourquoi ne pas chercher à vivre quand même, coûte que coûte ? Par delà les faits répertoriés, ce que nous donne à comprendre Colette Beaune, c’est la geste des consciences qui, à travers les âges, de Jeanne à Jean Moulin se lèvent pour dire « non », et refusent l’iniquité. Vive conversation avec tous ces stigmatisés et contre les mythographes de tous bords et de tous temps.
Par Frédéric Roger