Éditions Catserman, 2005
Une pointe d’argot, des barricades, des femmes montées au front, des nuits sanglantes ou encore des conflits politiques engendrés par la défaite du Second Empire face à la Prusse, telle est la formule que nous proposent Jean Vautrin et Tardi à travers Le Cri du Peuple. Initialement éditée en quatre volumes, cette intégrale nous abandonne au milieu de la Commune, dans une version dessinée du roman éponyme de Jean Vautrin mettant en scène une enquête qui se déroule au cours des funestes événements de 1871.
Au cœur d'un Paris sous la neige, le corps d'une demoiselle est retrouvé dans la Seine, un œil de verre gravé du numéro treize au creux de la main. Ainsi commence le récit, sur ce qui constituera la trame de l’œuvre, avec en toile de fond le vent d'une révolte qui monte des quartiers populaires. Au-delà de cette intrigue policière, qui s'efface au fil des pages pour laisser toute sa place à la lutte entre les drapeaux bleu-blanc-rouge et les bannières rouges, les auteurs s'intéressent au parcours des divers personnages fictifs qui participèrent à ces tragiques semaines d'insurrection et de répression : le capitaine Antoine Tarpagnan, transi d'amour pour Caf’Conc’, qui rejoindra les rangs communards, Horace Grondin, ancien bagnard à la recherche de Tarpagnan qu'il accuse du meurtre de sa fille adoptive, l'inspecteur Hippolyte Barthélémy, avide d’avancement, qui souhaite à tout prix démêler l'affaire de la noyée, mais aussi des personnalités qui y ont, de près ou de loin, réellement pris part : Jules Vallès, Louise Michel, Georges Clemenceau ou Gustave Courbet. Leurs histoires ne cesseront de s'enchevêtrer jusqu'à ce que les actions finissent par se recouper. Le scénario trouve un parfait équilibre entre le polar et le témoignage historique du plus important massacre perpétré par l'État français à l'encontre de ses citoyens. Plus qu'un hommage aux communards, c'est un brûlot à charge contre Adolphe Thiers.
Saisissant les péripéties depuis les pavés à travers son trait si particulier, Tardi trimballe le lecteur des quartiers populaires aux grands sites parisiens, dans les pas d'un peuple luttant pour sa liberté. L'esthétique graphique mise en scène par le dessinateur, tout en noir et blanc, s'avère judicieuse tant le dessin est étouffant, retranscrivant l'atmosphère violente, austère et sombre de l'époque. D'autant que le format à l'italienne, propice aux plans plus larges, permet d'explorer dans le détail et la minutie de grandes scènes épiques. Les auteurs nous plongent au cœur des hostilités pour mieux nous faire partager les odeurs, les bruits, les passions ou l’engouement des Parisiens engagés dans un combat perdu d'avance qui se termine comme il a commencé : dans l'hémoglobine. En trois cent douze pages, Jean Vautrin et Tardi nous font passer d'une ambiance de Grand Soir à la désillusion finale !
Par KanKr