Éditions Grasset, 2007
Avec Mon traître Sorj Chalandon nous offre un très beau récit sur l’Irlande, la guerre et l’amitié. Un récit autobiographique puisque le narrateur, Antoine, raconte en fait une partie de la vie de l’auteur. Antoine est un jeune luthier français qui, au cœur des années 1970 tombe amoureux de l’Irlande, de son histoire et de ses habitants. Il noue des liens privilégiés avec Jim et Cathy, qui deviennent sa famille d’accueil sur Belfast, et surtout Tyrone Meehan, un activiste de l’Irish Republican Army. Pour Antoine ce dernier est l’ami, le frère, l’incarnation de la bravoure du nationalisme irlandais. Chalandon dépeint cette amitié avec émotion et pudeur : « Nous étions comme ça, à deux, face au lac, et milieu de son Irlande et de son ciel. Il m’a pris par l’épaule. Il n’a rien dit, d’abord. Il a laissé le vent, la lumière effleurer les collines, les murets de pierres plates. Sa main, lourde sur mon épaule, ses yeux clos. Je l’ai regardé. J’étais fier. De sa confiance surtout. » (p. 119). Mais le combat qu’ils mènent, celui pour la libération de l’Irlande du Nord, n’est pas de ceux qui épargnent les cœurs vaillants. Car comme l’indique le titre du livre, Tyrone Meehan trahira.
Tyrone Meehan n’est autre que Denis Donaldson, qui fut retourné par le MI5 britannique contre son propre camp. L’annonce officielle de sa trahison, en 2005, fut pour l’auteur un véritable choc. Comment son ami avait-il pu lui mentir pendant si longtemps ? D’autant plus que son implication pour l’IRA (transits d’argent et accueil d’activistes dans son appartement parisien) l’avait engagé au-delà des simples actes. « Je trouvais étrange que la guerre déborde ainsi de ses frontières. Je savais que l’IRA ne frapperait jamais les intérêts britanniques sur le sol français. La France n’était qu’une base arrière. Un lieu de passage, de repli ou de repos. Mais l’IRA opérait en Allemagne, aux Pays-Bas, ailleurs que sur sa terre. Et qu’il aidait à tuer. Et qu’il tuerait. Et que ces hommes qui dormaient dans ma chambre tueraient aussi peut-être. Mais voilà. C’était comme ça. J’étais entré dans la beauté terrible et c’était sans retour. » (p. 84).
Mon traître m’a ému. L’auteur manie la plume avec talent, enchaînant les phrases brèves et incisives sur un rythme où l’anaphore est reine. À la suite du narrateur on entre dans les coulisses d’une lutte armée qui marqua la seconde moitié du XXe siècle. Certaines scènes sont bouleversantes, comme l’annonce publique de la mort de Bobby Sands ou le face-à-face final entre Antoine et Tyrone. Aujourd’hui Sorj Chalandon publie Retour à Killybegs, où est exposé le pourquoi de la trahison de Tyrone. Si ce nouveau livre est du même acabit que Mon traître, nulle raison de douter que le succès soit au rendez-vous.
A ceux qui souhaiteraient appronfondir la question irlandaise, je recommande la lecture de l'ouvrage d'Agnès Maillot IRA - Les républicains irlandais (Editions PU de Caen, 2001).
Par Matthieu Roger